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Elle provoqua d’abord une grande curiosité. Mais la situation de son mari, sa réputation au barreau, l’enveloppèrent d’un respect. Pour le monde, d’ailleurs, qui donc pouvait être meilleur juge d’un accusé que l’avocat, son intime confident, comme était le prêtre du pénitent ? L’acquittement ne pouvait avoir de plus éclatante confirmation que ce mariage même avec son défenseur. Comme elle était très belle, il y eut des jalousies. Mais il y eut des coups de caprice aussi, des engouemens. Des femmes l’adorèrent, arborant leur amitié avec une belle crânerie, achevant de l’imposer. Même toute une légende se répandait qu’elle ignora. Elle devenait une héroïne. Et l’épreuve qu’elle avait redoutée, à laquelle elle ne s’était soumise qu’avec des angoisses, tournait à un triomphe.

De ce triomphe, alors, elle-même, lorsqu’en des heures solitaires sa pensée effleurait le passé, le voyait glisser ainsi qu’une vision étrangère, en dehors d’elle. Elle était si différente maintenant de ce qu’elle avait été en l’égarement trouble d’une passion mauvaise, qu’il lui semblait parfois qu’elle n’eût été pour rien dans tout cela. Elle se voyait agir avec une stupeur, comme elle eût vu les agissemens d’un autre. Elle ne retrouvait que des actes, ne ressaisissait ni ses pensées ni ses impressions. Cela lui semblait un rêve fou, impossible, à la réalité duquel elle ne croyait plus, ne pouvait plus croire. Non, vraiment, elle n’était pas coupable ! Elle ne l’avait pas été. Ce n’était pas elle qui avait accompli ces choses.

Dans le mouvement de la vie parisienne, l’histoire, reléguée dans le lointain, allait à l’oubli, ne laissant que le charme mystérieux et la poésie vague de quelque roman vécu. Et de cela, elle aussi commença d’oublier. Le passé devenait comme un long voile noir traînant derrière elle, plus loin toujours. Le relief des faits s’estompait, dans un recul croissant. C’était la fuite lente d’un cauchemar qui, aux premières minutes de l’éveil, flotte encore, ainsi qu’une brume prochaine diffuse déjà sous le soleil, bientôt envolée dans le néant. Puis sa vie ne data plus que de son mariage, comme sans doute n’a commencé qu’avec leurs ailes la vie des papillons. Elle gardait seulement ainsi qu’un sentiment confus de sa faiblesse, qui lui rendait plus cher l’appui rencontré. Et, tandis que la douceur attendrie des mélancolies lointaines faisait plus radieux les nouveaux soleils, tous deux vivaient un amour que rien ne troublerait désormais, l’amour idéal, fait de faiblesse et de reconnaissance chez la femme, chez l’homme de force et de protection, pareil à deux prières montant ensemble, d’un même essor.