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l’admiration de sa beauté. Elle se voyait environnée de chuchotemens. Des absences à des dîners, des départs motivés d’un salon où elle s’était trouvée, prenaient tout à coup des apparences d’abstentions et de fuites. Des distractions de gens qui, un moment, ne l’avaient pas aperçue ou pas reconnue, des négligences d’amis trop affaires, emportés par la vie de Paris, se transformaient brusquement en de visibles mépris. Et des souvenirs l’assaillaient d’un assaut continu, des détails inaperçus, d’autres imaginés, tous poussés à la même acuité d’injures préméditées.

Dans cet état d’esprit, toutes les pensées de son mari, la préoccupation de ses affaires, l’absorption venue de ses labeurs, ou des soucis courans et des mille contrariétés de l’existence, à leur tour se dénaturèrent, devinrent le regret de l’avoir épousée. Plus elle le savait bon, plus elle se défendait contre les apparences de sa bonté, à la fois touchée et désespérée de la sollicitude dont il l’entourait, la jugeant menteuse, voulue par un héroïsme.

Mais, un matin, elle eut une surprise terrible. Elle venait de jeter les yeux sur un journal. C’était le récit d’un nouveau crime, un empoisonnement, l’empoisonnement d’un mari par sa femme. Sa propre histoire se dressait à nouveau, dans une ironie sanglante. Elle se sentit atteinte directement, comme par un jet de lumière brusque dirigé sur le coin d’ombre où elle était réfugiée. Là encore, la complicité d’un amant se rencontrait ; et, là encore, l’amant était en fuite. La seule différence était qu’il se fût tué. Le rapprochement était foudroyant, devait surgir à tous les yeux. Et elle comprit que son mari l’avait fait. Comme s’il eût redouté pour elle le retentissement douloureux du passé, il voulait la conduire à la campagne, l’isoler sans doute, la tenir loin des journaux, loin des bruits de la ville. Mais elle refusa, sous des prétextes, trop angoissée, toute son âme suspendue à ce procès.

Dès le commencement des débats, l’identité du nouveau crime avec le sien ressortit plus évidente, plus terrifiante chaque jour. Même dans l’attitude de la coupable, elle retrouvait sa propre attitude, celle d’un être qui n’a pas compris sa faute, se sent victime de quelque fatalité, s’est détaché de tout depuis que son amour n’est plus. Cela lui était poignant et attirant comme le drame même de sa vie brusquement exhumé. Et, çà et là, il se produisit que son nom éclatât dans une colonne de journal, au milieu d’un compte-rendu, par un souvenir, une comparaison.

De n’en parler jamais, pourtant, ni lui, ni elle, elle sentit ce procès vivre entre eux, davantage, toujours présent. Il pesait sur eux dans leurs silences, jaillissait des rencontres imprévues de leurs