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la courba, la tête baissée, dérobant des larmes. Daguerre se tut, effrayé. Cette pâleur, ces regards vite dérobés, cette terreur dans toute sa face ! Elle s’était livrée ; elle avait avoué.

Après un silence, de son air douloureux de martyre, elle murmura :

— N’avais-je pas raison autrefois ?

Puis, comme il la regardait, les sourcils haussés, elle ajouta doucement :

— Rien n’est irréparable, pour vous, du moins. S’il vous plaît que je disparaisse, si vous voulez divorcer, j’y consens ! Même, reprit-elle, tandis que des larmes éclairaient ses grands yeux tristes, je vous le demande ! voulez-vous ?

Il éluda, saisi comme d’un coup droit imprévu. Et feignant la surprise :

— A propos de quoi ? demanda-t-il.

Le regard de la femme atteignit le sien, un regard profond, indéfinissable. Puis elle baissa les yeux, dit simplement, très douce :

— Comme vous voudrez, mon ami.

Daguerre, malgré lui était ému, ébranlé ; il retrouvait, vivace encore au fond de lui-même, un instinct qui le poussait à rompre sa folie, à se jeter aux pieds de sa femme. Mais il se raidit. Le divorce ! c’était bien cela, il la gênait ! Le divorce, pour épouser l’autre ! Il vit, en cette proposition ainsi amenée, un réveil momentané de conscience, une lueur fugitive dans la nuit criminelle où sa femme était plongée. Il y retrouvait un peu de l’instinct du chien qui, se sentant enragé, s’effraie de penser que, tout à l’heure, sans doute, il mordra son maître. Peut-être était -elle irresponsable, monomaniaque de l’empoisonnement ?

Le danger, dès lors, lui parut accru, de ce que lui-même avait livré ses craintes, dévoilé ses défiances. La terreur entrée en son ventre, grandit, ne le quitta plus. Même, la pensée de cet amant s’effaça, inutilement romanesque. Lui ou un autre, qu’importait ? Il était en présence du fait, simplement, sous la menace du poison. Il commença de surveiller. Il cherchait dans la cuisine, furetait dans les coins, avide de quelque trouvaille effrayante ; et de ne rien découvrir, sa défiance augmentait. Il analysait angoisseusement ses sensations, scrutait ses malaises, jeté à tout instant vers une glace et se trouvant pâle, tirant sa langue et la jugeant mauvaise. Véritablement, une fièvre lente, continue, le minait. Aucun doute ne demeurait possible : il s’en allait lentement, ruiné par une insensible consomption que nul ne remarquait, que lui seul pouvait savoir. Et, si lente que fût l’œuvre, il s’effrayait, par des comparaisons, lorsqu’il regardait en arrière, du travail accompli.