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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/172

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de ses défaites. Il s’effraya. Une terreur d’inconnu l’enveloppait. Cet homme invisible lui donnait l’angoisse d’une rue noire, déserte, où des voleurs cachés peuvent surgir.

Oui, un danger vague, pourtant certain, le menaçait. Il n’osait y arrêter sa pensée ; mais le passé, irrévocablement ramené désormais, lui montrait l’identité des situations d’alors et de maintenant. Il concluait du connu à l’inconnu, des faits accomplis autrefois à ceux qui s’accompliraient dans l’avenir. Et le danger se précisa. Elle le trompait avec cet homme, comme autrefois son premier mari. Mais alors, de même que ce premier mari, lui-même, à son tour, ne devenait-il pas l’obstacle ?

Une nuit, Daguerre dut se lever, pris d’une indisposition. C’était un refroidissement ; il le savait. Mais un soupçon l’enveloppa, comme un coup de fouet ; tout le poil de sa chair se hérissa. Après un moment, son idée lui sembla folle, impossible. Il se railla, faillit, de cet excès même, toucher le fond de son injustice, revenir à sa femme. Cependant, le lendemain, en se voyant dans la glace, il se trouva pâle, dut s’avouer qu’il avait beaucoup maigri. Il se rappelait des insomnies, des inappétences ; il lui sembla que l’altération indéniable de sa santé remontait très loin, à ses soupçons même, à son espionnage de sa femme, au temps où, l’éveil d’une jalousie l’ayant poussé, sans doute il était devenu gênant.

Alors, chaque jour, des faits eux-mêmes, de nouvelles clartés jaillirent. Ne se rappelait-il pas l’attitude de sa femme, au cours de ce dernier procès si semblable au sien ! Avec quelle fièvre elle en suivait les détails, en cachette de lui ! Sans doute, elle s’instruisait à cette lecture, combinant, d’après les fautes qu’elle voyait commises et dans lesquelles elle-même, la première fois, était tombée, des agissemens irrévélables dont nulle trace ne put demeurer. Maintenant, encouragée par une première impunité, troublée pourtant par la récente condamnation, elle prenait des précautions. Instruite par l’expérience, elle procédait lentement, sûrement, implacablement.

Lorsqu’il lui voyait, extraordinairement, quelque nerveuse gaîté, il se sentait blêmir, car elle se réjouissait de son œuvre. Était-elle pensive ? elle imaginait des ruses nouvelles, préparait des actions plus certaines. Était-elle affligée ? elle souffrait de la lenteur des résultats, elle se tourmentait de n’oser, malgré les instances pressantes de l’autre, hâter son œuvre, de peur d’être découverte.

Un jour, il s’informa, vaguement railleur, d’un air détaché :

— Comment donc s’appelle-t-il, cet homme ? vous savez bien ? votre amant ?

Elle blêmit, révoltée ; mais, tout de suite, une résignation douloureuse