pendant le cours de la campagne, avaient sollicité l’honneur d’être placés en première ligne.
A l’aspect de ces beaux régimens encore nombreux, bien montés et sur les cuirasses desquels étincelaient les rayons du soleil, la cavalerie russe s’arrêta tout court ; puis, reprenant courage, elle se reportait en avant lorsque nos cuirassiers, chargeant avec furie, la renversèrent et lui tuèrent ou prirent un millier d’hommes.
Tchitchakof, à qui on avait assuré que l’armée de Napoléon n’était plus qu’une masse sans ordre et sans armes, ne s’était point attendu à une vigueur pareille : aussi s’empressa-t-il de battre en retraite sur Borisof.
On sait qu’après avoir fourni une charge, les grands chevaux de la grosse cavalerie, et surtout ceux des cuirassiers, ne peuvent longtemps continuer à galoper. Ce furent donc les 23e et 24e de chasseurs qui reçurent l’ordre de poursuivre les ennemis, tandis que les cuirassiers venaient en seconde ligne à une allure modérée.
Non-seulement Tchitchakof avait commis la faute de se porter au-devant d’Oudinot, mais il y avait encore ajouté celle de se faire suivre par tous les équipages de son armée, dont le nombre de voitures s’élevait à plus de quinze cents ! Aussi le désordre fut-il si grand pendant la retraite précipitée des Russes vers Borisof, que les deux régimens de cavalerie légère de la brigade Castex virent souvent leur marche entravée par les chariots que les ennemis avaient abandonnés. Cet embarras devint encore plus considérable dès que nous pénétrâmes dans la ville, dont les rues étaient encombrées de bagages et de chevaux de trait entre lesquels se faufilaient à la hâte des soldats russes, qui, après avoir jeté leurs armes, cherchaient à rejoindre leurs troupes. Cependant, nous parvînmes au centre de la ville ; mais ce ne fut qu’après avoir perdu un temps précieux, dont les ennemis profitèrent pour passer la rivière.
L’ordre du maréchal était de gagner le pont de la Bérésina ; mais pour cela, il aurait fallu savoir où se trouvait ce pont, et aucun de nous ne connaissait la ville. Mes cavaliers m’amenèrent enfin un juif, que je fis questionner en allemand ; mais soit que le drôle ne parlât pas cette langue, soit qu’il feignît de ne pas la comprendre, nous ne pûmes en tirer aucun renseignement.
J’aurais donné beaucoup pour avoir en ce moment auprès de moi Lorentz, mon domestique polonais, qui me servait habituellement d’interprète ; mais le poltron était resté en arrière dès le commencement du combat. Il fallait pourtant sortir de l’impasse dans laquelle la brigade était engagée. Nous fîmes donc parcourir les rues de la ville par plusieurs pelotons qui aperçurent enfin la Bérésina.