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en souvenir de ce singe favori dont, enfant, il avait mené les funérailles à grand renfort de lettres de faire part, d’épitaphes rimées, et en lui élevant un mausolée ?

Un autre favori du prince, mais celui-là témoigne en faveur de sa bonté naturelle, sinon de ses aptitudes au rôle de père adoptif, est ce comte de Billy, fils du premier gentilhomme de sa chambre, élevé, Dieu ou le diable savent de quelle manière, sur les genoux de Mlle Camargo et Leduc, fieffé mauvais sujet à l’âge de seize ans, nommé colonel du régiment d’Enghien « au sortir de la jaquette, » musicien agréable et bon comédien de société, qui meurt épuisé à vingt ans, après avoir fait au lit de mort sa première communion. Clermont, dans ses lettres, le morigène fort doucement, traite ses folies d’enfances mal concertées, exprime l’espoir qu’il finira par épurer sa philosophie en ne donnant à chaque chose que son étendue, et qu’il se lassera « de l’habiller du costume des différentes mascarades qui réjouissent successivement ses différentes idées. » Il voudrait le marier à une riche roturière, car on n’a point d’état que l’on ne soit riche, et, dans ce siècle d’airain, avec du bien l’on est de tout, avec de la pauvreté l’on n’est de rien ; mais les parens de la demoiselle ont eu vent du personnage, et, aux ouvertures du prince, ils objectent fort judicieusement qu’en femmes, Billy ne connaît que des filles ; en gens de condition, que des écervelés ; en bourgeois, que des musiciens. Et voilà le zèle du tuteur mis à néant ; et, si cela continue, se lamente-t-il, « on sera rejeté même de la plus modique héritière des montagnes de Savoie, dont le bien, cependant, ne consiste qu’en une marmotte dormant six mois de l’année dans une boîte de sapin. » Quant au reproche d’aimer la comédie, le prince excuse Cupidon-Billy, car c’est un plaisir aussi innocent que le jeu d’oie renouvelé des Grecs, et, ne pouvant s’empêcher de mêler la note grivoise aux sages conseils, il observe : « Cet exercice émeut les passions, attendrit le cœur, et la dame ne peut que se trouver bien de ces deux effets, qui en procurent un troisième qui a beaucoup de connexité avec l’œuvre de propagation. » Singulière esthétique, bien digne d’un directeur temporel qui va jusqu’à permettre à son pupille un peu de libertinage, rien qu’un peu. Le pauvre prince a beau se fâcher parfois, monter sur ses grands chevaux, essayer du style sermonnaire, il se sent mal à l’aise dans ce rôle, si nouveau pour lui, et craint peut-être que Billy ne lui oppose sa propre conduite, car la meilleure leçon est encore la leçon de l’exemple, et l’on risque de ne pas inspirer la contrition parfaite au pécheur quand on se contente de paraphraser cette maxime commode : « Faites comme je vous dis, ne faites pas comme je