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pas d’amant couchant[1], observe crûment Collé qui ne l’aimait guère. Toute jeune, elle avait épousé le marquis de Montesson, déjà vieux, presque en enfance, pour le nom et pour le bien. Ayant donc inspiré un amour effréné au duc d’Orléans, elle sut, par un mélange habile de coquetterie et de dignité, le renvoyant toujours mécontent, jamais désespéré, l’amener insensiblement à lui offrir son nom. Sans parler des unions morganatiques, les mariages secrets, compromis entre les scrupules de la pudeur et l’élévation du rang, jouissaient alors d’une grande vogue : la duchesse de Bourbon avait de la sorte épousé M. de Lassay, le comte de Toulouse Mme de Gondrin. Cette fois, il ne s’agissait plus de secret ; le prince voulut ou crut vouloir épouser publiquement : commentaires et brocards allaient leur train, et Mme du Deffand, fort irrévérencieuse de son naturel, donnait à ses amis de Chanteloup un logogriphe à deviner : le mot de l’énigme était Bourbon-Buse. On ne manqua point de clabauder le propos tenu par la Du Barry lorsque le duc vint la prier de l’appuyer auprès du roi : « Épousez toujours, gros père, nous verrons après. » Enfin, après bien des démarches, Louis XV octroya son consentement, mais l’autorisation ne contenait que ces mots : « Monsieur l’archevêque, vous croirez ce que vous dira de ma part mon cousin le duc d’Orléans. » Il voulait que « le mariage restât secret autant que faire se pourrait. » Ainsi, tout le monde le connaissait en fait, personne n’avait le droit de le connaître, et le marquis de Caraccioli résuma l’opinion des gens du monde en disant que le duc d’Orléans, ne pouvant faire Mme de Montesson duchesse d’Orléans, s’était fait M. de Montesson. A la mort de celui-ci, Louis XVI, soufflé par la duchesse de Bourbon, l’empêcha de draper ses carrosses, lui ordonna de se renfermer à l’Assomption et d’y rester derrière les grilles, où « elle put prendre à son aise des façons de princesse sans être dérangée. »

En cette situation bizarre, presque unique, d’épouse sans titre, où la guettaient le ridicule et l’envie, elle sut désarmer l’un et l’autre, capter la considération par un tact infini. C’est le propre du génie dans tous les ordres de dominer la position que l’on tient du hasard, de s’imposer aux hommes et aux choses, en créant au fur et à mesure, pour chaque circonstance, le mot, l’idée, l’acte qui légitiment la conquête : Mme de Montesson eut le génie social, le génie de la domination insinuante et douce. Sa maison, observe

  1. Mémoires de Mme de Genlis, de Mme d’Oberkirch, de Fleury. — Journal historique de Collé. — Souvenirs du duc de Lévis. — Correspondance de Grimm, de Mme du Deffand. — Honoré Bonhomme : le Dernier abbé de cour, 1 v. in-18. — Les mauvaises langues donnèrent pour ami de cœur à Mme de Montesson M. de Valence.