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les Pharaons. Quelque goût prononcé que nous puissions avoir pour la paix sociale et pour les grandes agglomérations politiques, il ne nous est pas plus possible de regretter l’émancipation des provinces néerlandaises que l’affranchissement de la Grèce. Tout ce qui peut honorer la nature humaine, la relever à ses propres yeux eut part à ce double et généreux triomphe. Le sentiment religieux poussé jusqu’à ses dernières limites soutint, dans les jours les plus désastreux, les combattans de 1821 aussi bien que ceux de 1568. Il faut y joindre la haine de l’étranger, levier non moins puissant et non moins respectable.

Ce fut surtout ce dernier sentiment qui, au temps de l’empereur Napoléon, combattit contre nous en Espagne. Ni par la violence, ni par la conciliation, on n’aurait habitué des Flamands au joug espagnol, des Espagnols au joug français. Le duc d’Albe, pas plus que le prince Murat, Marguerite de Parme pas plus que le roi Joseph n’étaient de force à opérer ce miracle. Quand un peuple a pris pour bannière le désir impérieux de rester maître du sol qui l’a vu naître, il faut l’exterminer ou s’incliner devant sa fantaisie. Le duc d’Albe n’aurait pas répudié l’emploi de l’extermination, — de la transplantation tout au moins ; — Albe n’était qu’un bâton dans la main de son maître. Chrétien fervent, il eût, sans sourciller, clos la lutte à la turque. Nos vues sur l’Espagne étaient plus clémentes. Nous voulions, suivant le mot du vainqueur d’Austerlitz, « débarrasser l’Espagne de ses hideuses institutions. » Ce sont là des bienfaits qui gardent un goût amer quand ils nous sont offerts à la pointe de l’épée.

Ne comparons pas cependant la guerre de 1808 à la guerre de 1568. Il n’y a qu’un rapprochement naturel, un rapprochement pour ainsi dire qui s’impose ; c’est celui auquel nous convient la parité du but poursuivi et jusqu’aux moindres détails de la lutte. Le peuple néerlandais a été, le peuple néerlandais demeure encore, le plus grand des petits peuples. Ne lui refusons pas ce titre payé de tant de sang et de tant de labeur. S’il fallait cependant classer les peuples d’après le prix auquel ils ont acheté leur liberté, on hésiterait peut-être à reléguer les Grecs au second rang.

Que d’analogies d’ailleurs dans l’origine, dans les péripéties des deux insurrections ! Sans la révolte d’Ali-Pacha, sans la trame lentement ourdie par le prince d’Orange, les mécontens en Grèce comme dans les Pays-Bas n’auraient pas eu beau jeu. Le mouvement populaire a été secondé, encouragé, provoqué même, au sein des deux pays, par des satrapes infidèles. « J’ai toujours honoré le roi d’Espagne, » proclame le taciturne stathouder de Hollande. Le pacha de Janina ne croira pas davantage s’être dégagé par sa rébellion de l’hommage