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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/362

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en Dieu. On les a décapités sur le quai d’Anvers, sur le Steen. L’épouse de Jérôme, Marguerite ; Jeannette qui vivait près de Dentelaar et Clairette, ont été noyées publiquement dans l’Escaut. On a vu flotter sur l’eau leurs beaux corps blancs. »

Ces répressions sévères, avant-courrières d’exécutions en masse, ne paraissent pas avoir eu le don d’émouvoir beaucoup la noblesse. En revanche, elle n’essaya pas de cacher son mécontentement, quand Philippe II s’avisa de porter atteinte à ses privilèges. Philippe II était aussi, à sa façon, un réformateur. Il s’indignait, et à trop juste titre, de l’ignorance et de l’insouciance du clergé des Pays-Bas. Il voulut y porter remède et chargea un chanoine d’Utrecht, Sonnius, de régler cette affaire avec le pape. Par une bulle promulguée en 1559, Paul IV porta de quatre à dix-huit le nombre des évêchés. Noblesse et clergé s’indignèrent à l’envi. Les abbés se voyaient contraints d’abandonner une large part de leurs bénéfices aux nouveaux évêques ; les nobles perdaient l’espoir d’obtenir, comme par le passé, des dignités ecclésiastiques. Ces dignités, en effet, allaient être désormais réservées aux docteurs en théologie : — « Évêque Sonnius, disait, dans sa parodie sacrilège de l’oraison dominicale, la chanson effrontée des chambres de rhétorique, votre nom est haï, votre royaume n’est d’aucune valeur ni dans le ciel, ni sur la terre. Vous mangez aujourd’hui notre pain quotidien. Nos femmes et nos enfans en ont grand besoin pourtant. O Seigneur, vous qui êtes aux cieux, délivrez-nous d’un pareil évêque ! Ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais gardez-nous de tous ces tonsurés. Amen. »

On a reproché à Philippe II, — les historiens ne se font pas faute, pour peu que l’occasion s’en présente, de faire la leçon aux rois, — on a reproché, disons-nous, à Philippe II de n’avoir pas apporté le secours de sa présence à la répression des premiers troubles : — « Les Flandres, répète encore aujourd’hui un blâme aussi prompt que facile, ne pouvaient pas être gouvernées de loin. » — N’oublie-t-on pas un peu, quand on formule avec tant d’assurance cette critique, l’immense étendue des domaines que le fils de Charles-Quint avait à surveiller ? Les Flandres n’étaient pas son seul embarras, et jamais l’échiquier politique n’imposa au souverain des devoirs plus multiples. Ne pouvant être partout à la fois, ce joueur patient et laborieux s’était, comme l’araignée, placé au centre de sa toile. Napoléon Ier non plus ne pouvait pas être en même temps à Madrid et à Moscou. Ses affaires s’en seraient-elles plus mal trouvées s’il était resté à Paris ? Philippe II, d’ailleurs, semble avoir, en s’embarquant pour l’Espagne, le 26 août 1559, laissé derrière lui une administration sérieuse et