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de l’Europe, et l’Italie sa très humble suivante, — sua umilmima ancella. » La conclusion est facile à déduire, bien que l’auteur de la brochure ne la formule pas avec précision et préfère s’en tenir aux expressions vagues dont les différentes déclarations de M. di Rudini lui ont donné l’exemple. Il se borne à indiquer que la triple alliance n’a rien que de « bienfaisant » pour la France, en ce qu’elle l’empêche de se livrer à ses projets d’agression, en ce qu’elle l’empêche « de se jeter dans l’extrême ruine, ce qui, veut-il bien dire, constituerait un grand dommage pour l’Italie. » En conséquence, l’Italie, renforçant les obstacles à la guerre par sa présence dans l’alliance germanique, ne ferait qu’accomplir un acte d’amitié envers la France ! Donc, point de neutralité.

Je n’ai pas craint de m’étendre comme je viens de le faire sur la brochure de M. Torraca, dans laquelle beaucoup de gens n’ont probablement vu qu’un simple incident de publicité. Aujourd’hui que les faits ont parlé, il me semble établi que cet écrit a bien été l’une des parties de l’ensemble du système suivi par le cabinet Rudini, système consistant à laisser entrevoir la pensée de renouveler l’alliance tout en s’efforçant, par des paroles d’amitié, d’éviter de provoquer le mécontentement de la France. Les ministres, d’ailleurs, s’empressèrent de dire à quiconque leur en parla que le gouvernement n’était pour rien dans la brochure de M. Torraca ; que celui-ci s’était uniquement inspiré de ses propres idées, comme ils l’avaient déjà déclaré quelques semaines auparavant pour l’article à sensation paru dans le journal dont ce député est le directeur. L’un d’eux alla même plus loin. Il dit, je cite textuellement ses paroles, à une personne qui l’interpellait avec inquiétude sur la signification de cet écrit : « Mais de quoi s’inquiète-t-on ? Est-ce qu’on ne sait pas que l’alliance n’expire qu’à la fin de 1892 ? Nous avons donc plus d’un an et demi pour y penser. »


IV

L’on conçoit facilement combien tous ces contrastes jetaient en ce temps-là de doutes dans les esprits, et les paroles que M. di Rudini prononçait le lendemain même, 14 mai, à la chambre, n’étaient pas de nature à dissiper les doutes. On discutait le budget des affaires étrangères. La triple alliance avait été vivement combattue par M. Marazzi. Ce député, qui est major dans l’armée, l’avait envisagée au point de vue militaire. Dans son discours, il faisait une étude très détaillée des forces de la Russie et de la France comparées à celles de la triple alliance, et le résultat de la comparaison était loin d’être favorable à celle-ci. Quant à l’armée italienne en particulier, il constatait que, si une guerre