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l’Italie se faire, et la monarchie sarde entraînée à se laisser hisser sur le trône d’Italie par des bras révolutionnaires, par des bras républicains.

À côté de ce but d’intérêt purement politique, M. Crispi, lorsqu’il cherche ainsi à dépister l’opinion, en poursuit d’ailleurs un autre, qui est de l’intérêt de sa popularité personnelle ; et, dans cet ordre d’idées particulier, il ne se montre pas moins habile que dans l’autre. L’auteur de l’article dont il cherche à effacer le souvenir le présente, lui Crispi, comme s’étant fait agent provocateur d’une guerre pour compte de l’Allemagne ; des esprits autorisés et en situation de connaître les secrets politiques du gouvernement du Quirinal, en tête desquels se plaçait le prince Napoléon, l’ont affirmé de la manière la plus positive ; ils ont accusé M. Crispi d’être allé à Friedrichsruhe pour combiner « une sorte de plan de Plombières renversé, » à la suite duquel la France devait être entraînée à déclarer imprudemment la guerre en 1888 ou 1889, comme l’Autriche le fut en 1859. D’autre part, les partisans du cabinet qui a succédé au sien en février l’accusent obstinément d’avoir été l’unique auteur de la guerre commerciale et financière avec la France, des déficits budgétaires du gouvernement, des provinces et des communes ; ils lui attribuent, en un mot, toute la responsabilité des ruines économiques qui pèsent sur le pays et ont pour cause la détresse dont un grand nombre de familles sont affligées. M. Crispi sent que, tant que l’écho de ces accablantes accusations ne sera affaibli, son retour au pouvoir sera impossible ; mais il compte sur l’effet du temps pour en atténuer l’impression, et il prépare ses élémens de revanche pour le moment opportun. Il met, en conséquence, ses moyens de défense en réserve. Le jour de sa rentrée en scène venu, il se gardera bien de rappeler les voyages de Friedrichsruhe où il allait subir l’hypnotisation bismarckienne ; il se gardera non moins soigneusement d’évoquer le souvenir de la violation des archives du consulat français de Florence, pas plus que celui des offensantes notes diplomatiques qu’il adressait à la France lors de l’affaire de Massaouah ; toutes ces choses resteront dans l’ombre comme y resteront et l’appel de l’escadre anglaise pour détendre la Spezzia et Gênes soi-disant menacées de bombardement, et les prétendus préparatifs français de descente eu Tripolitaine, dont toutes les agences télégraphiques à la solde de la Consulta remplissaient les journaux dans les dernières semaines de son ministère. Ce jour-là, M. Crispi dira simplement à ses adversaires : Vos allégations sont fausses, en voici les preuves. Peu de temps avant mon entrée au pouvoir, j’étais si peu considéré comme un ennemi de la France, que le gouvernement français m’envoyait la plaque de la Légion d’honneur ; et, pendant toute la