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roi, avec cette phrase que M. de Villèle, pour sa part, refusait de voter : « Nous nous félicitons avec vous, sire, des relations amicales qui existent entre vous et les puissances étrangères, dans la juste confiance que cette paix précieuse n’est achetée par aucun sacrifice incompatible avec l’honneur de la nation et la dignité de votre couronne. » Votée un peu par surprise, cette phrase était une injure pour le roi qui refusait d’abord de recevoir l’adresse, et ne la recevait en définitive qu’en répondant avec sévérité ; elle était aussi une offense gratuite pour le duc de Richelieu, l’homme qui depuis la Restauration avait fait le plus pour délivrer la France de l’occupation étrangère. Elle dévoilait enfin une situation presque révolutionnaire où un vote de défiance injurieuse n’avait été possible que par l’alliance des « ultras » qu’on appelait maintenant les « pointus » avec les libéraux les plus avancés. Il ne restait plus pour le ministère d’autre alternative que d’obtenir du roi la dissolution de la chambre ou de se retirer. — Dissoudre la chambre dans cette confusion des partis, rouvrir dans le pays tout entier des luttes plus passionnées, plus implacables que jamais, c’était une grosse partie à jouer. Le roi, bien qu’il eût été offensé de l’adresse des députés et qu’il eût répondu avec une hauteur assez menaçante, paraissait peu disposé à aller jusqu’à « casser » la chambre, jusqu’à recommencer le 5 septembre. Le duc de Richelieu, après avoir proposé sans conviction bien vive la dissolution, y renonçait sans regret et préférait se retirer. Cet honnête homme, plus perplexe que résolu, dépaysé dans les manèges parlementaires, éprouvait d’ailleurs un dégoût du pouvoir mêlé d’irritation. Il voyait dans la défection d’une partie des royalistes une vraie déloyauté, presque une trahison de Monsieur, qui s’était engagé avec lui « sur sa parole de gentilhomme, » et lui avait promis, avec son appui, l’appui de ses amis. Les autres ministres, par honneur ou par calcul, se croyaient obligés de suivre M. de Richelieu dans sa retraite, de partager sa fortune. Le dernier ministère qui pouvait se rattacher encore à la politique du 5 septembre avait vécu, et la logique des choses désignait pour le pouvoir celui qui n’avait cessé d’être le chef le plus habile, le plus modéré de l’opposition royaliste, qui, sans perdre son crédit dans son parti, avait su éviter de se compromettre, soit dans la guerre contre M. de Richelieu, soit dans des manifestations blessantes pour le roi lui-même. M. de Villèle semblait désormais l’homme de la situation, le ministre d’une transition que tout conspirait à préparer.