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Mais cette explication conservera-t-elle la même valeur rassurante, lorsque d’autres ministres qu’eux auront à interpréter les devoirs de l’Italie vis-à-vis de ses alliés ?

Qu’en serait-il, par exemple, si un homme du caractère de M. Crispi venait à leur succéder ? Qu’en serait-il, en admettant, ce dont il est parfaitement permis de douter, que cet homme d’État voulût, en reprenant le pouvoir, se montrer l’ennemi de la France que l’on est assez généralement porté à voir en lui ?

Voilà ce à quoi les ministres actuels, sous l’étreinte des difficultés qu’ils avaient à surmonter, n’ont peut-être pas suffisamment songé. Et c’est là un point d’interrogation auquel l’avenir pourra seul répondre.

Quant au présent, les Français peuvent l’envisager sans appréhension. La nation italienne a donné, dans ces derniers temps, plus d’une preuve non douteuse de son amour de la paix, de son amitié pour la France. Que la nation française réponde à ces manifestations avec amitié, je dirai plus, avec confiance ; que la cessation de la guerre des affaires devienne, entre les deux pays, le gage de l’impossibilité de la guerre de canon. Ainsi passera à travers les Alpes un souffle de sympathies et d’intérêts réciproques assez puissant pour refroidir les ardeurs haineuses des ennemis de la fraternité latine ; ainsi les deux peuples voisins, quels que soient les liens temporaires que la diplomatie ait cru devoir contracter, scelleraient le pacte durable de la paix latine, véritable paix de famille, qui, des deux côtés, s’impose à toutes les consciences. Je ne saurais, en terminant, donner meilleur témoignage de l’irrésistible pouvoir de ce lien de famille, que celui du roi Humbert lui-même : malgré l’alliance allemande, et moins d’un mois après l’avoir renouvelée, ce souverain, voulant, dans un langage noblement inspiré, désigner l’Italie et la France, n’a su les nommer autrement que les deux nations sœurs[1].


G. GIACOMETTI.

  1. Voir le télégramme du roi Humbert au baron Lazzaroni, adressé à Lyon, le lit juillet 1891. Ce télégramme est d’autant plus significatif qu’il répondait en sens approbatif à une dépêche de M. Lazzaroni, rendant compte à sa majesté de l’accueil fait à son discours, dans lequel il avait émis le vœu que les drapeaux des deux nations, « ces sacrés emblèmes, » fussent, comme au moment où il parlait, « toujours placés l’un à côté de l’autre. » L’expression d’un tel vœu, honorée de l’approbation royale, vingt jours seulement après la confirmation d’une alliance dont la conséquence pourrait être que les deux « sacrés emblèmes » dont il est parlé eussent à se trouver dans des camps opposés un jour de bataille, n’est pas la moindre des étrangetés que présente la situation de l’Italie dans le système des alliances où elle se trouve engagée.