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explique ce phénomène par la très grande mobilité du sable, qui se creuse et forme des montagnes où la vague vient se heurter avec un fracas terrible. Dans cette barre on chavire souvent ; nous en avons eu tout de suite un exemple, nos quatre ânes ont failli périr en atterrissant.

Une bonne surprise nous attendait à Grand-Lahou. Un mois environ avant nous, était partie une mission commandée par deux autres officiers de cavalerie, MM. de Tavernost et Armand. Ils avaient pour but de remonter le Lahou, de tâcher de trouver, par cette rivière, qu’on croyait longtemps navigable, une route vers l’Ourodogou, le pays de l’or et des éléphans. A notre arrivée ils étaient redescendus, et par un singulier et heureux hasard, nous nous retrouvions réunis sept blancs, dont quatre officiers de cavalerie, sur ce coin d’Afrique. Le septième blanc était un jeune homme venu avec deux compagnons de voyage pour explorer cette côte d’ivoire au point de vue commercial. M. Palasot était resté sur la côte à faire construire une case et à garder le gros des bagages de l’expédition, les deux autres voyageurs, MM. Voituret et Papillon, étaient remontés dans le nord, parcourant sur le Lahou la route ouverte par de Tavernost et Armand.

Que s’est-il passé au cours de cette remontée du fleuve ? personne ne le saura jamais exactement. Bref, le dimanche soir, jour de Pâques, la nouvelle nous arrivait, assez incertaine encore, entremêlée de détails confus, que Voituret et Papillon avaient été assassinés au-dessous du village de Tiassalé, coupés en morceaux et mangés ! Comme la nouvelle se confirmait, et que nous ne pouvions rester là sans agir, et que si loin de France la solidarité entre compatriotes, même inconnus, se double de l’isolement et du danger, nous hésitions entre deux avis. L’un, tout d’enthousiasme, était de partir avec nos hommes et d’aller tout de suite brûler le village et punir les coupables. L’autre, plus sage, auquel nous avons fini par nous ranger, consistait à prendre des ordres de l’administrateur du Dabou, M. Péan, et du résident à Grand-Bassam, M. Desaille.

A six heures du soir, il faisait presque nuit. Quiquerez et Armand passaient la barre et allaient avec la baleinière du poste à Dabou. Quinze ou vingt heures de voyage à la pagaie.

Le lendemain, pour ne pas rester oisifs et tâcher de recueillir quelques renseignemens complémentaires sur cet affreux drame, de Tavernost, Palasot et moi, accompagnés de l’agent de la maison Verdier, d’un interprète et de deux tirailleurs, nous sommes remontés avec le vapeur de M. Verdier jusqu’au village, limite de la navigation à vapeur, le bourg d’Aouem.

Chemin faisant, nous nous arrêtions à tous les villages pour