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avaient d’autant plus de gravité qu’elles avaient visiblement des complices dans les partis français et qu’elles mettaient le gouvernement de la Restauration dans l’alternative de rester désarmé contre un danger qui le menaçait lui-même ou de paraître s’asservir à la sainte-alliance représentée par les congrès. C’est dans ces conditions que M. de Villèle prenait la direction des affaires sans forfanterie comme sans faiblesse.

La première difficulté pour lui avait été d’organiser son ministère, de prendre pour ainsi dire son équilibre, de se débrouiller surtout avec ses terribles alliés de la droite, les « pointus, » qu’il consentait bien à satisfaire dans une certaine mesure, mais dont il ne voulait subir ni les exigences ni les entraînemens. Au ministère de l’intérieur, — le choix était tout simple, — il avait mis comme une sentinelle sure son ami, son compagnon de toutes les heures depuis 1814, Corbière, qui portait au pouvoir son esprit, son intégrité, son humeur libre et indépendante, ses mœurs familières et provinciales[1], M. de Clermont-Tonnerre au ministère de la marine et le maréchal duc de Bellune à la guerre acceptaient sans peine sa suprématie. A la chancellerie, il avait placé ce jeune Bordelais, hardi de parole dans les prétoires, ambitieux de renommée, M. de Peyronnet, qui lui devait son élévation. Aux relations extérieures, il avait cru devoir appeler un personnage de vieille aristocratie, M. Mathieu de Montmorency. Quand il avait prononcé ce nom, le roi s’était mis à rire et lui avait dit : « Vous ne le connaissez donc pas, c’est un homme de coterie qui peut vous donner bien des embarras. » M. de Villèle ne l’ignorait pas: il espérait diriger cet homme naïf, susceptible et vain ; il comptait aussi pouvoir le retenir par sa soumission au roi et par son goût des faveurs de cour. Il voyait moins clair que le roi ! Mais la plus grosse ou la

  1. On a un portrait du nouveau ministre de l’intérieur de la main de M. Sosthènes de La Rochefoucauld, qui le peint ainsi dans ses Mémoires : « M. Corbière a le front chauve, une petite figure, des yeux spirituels, beaucoup de physionomie. Bon homme au fond, brusque, sans manières, mais capable d’affection ; ne connaissant que peu ou point les usages du monde, il en rit et ne se laisse arrêter par aucune de ces considérations. Fin, susceptible, méfiant, instruit, original, avec tout l’entêtement d’un Breton... Ayant acquis d’abord assez de puissance sur l’esprit du roi par son instruction comme par le ton plaisant avec lequel il raconte et surtout par une manière nouvelle d’entendre Homère qui intéressait Louis XVIII. » — La duchesse de Broglie raconte, de son côté, dans les Souvenirs du duc son mari, cette plaisante anecdote : « M. Corbière est allé porter son travail au roi dans le cabinet où le roi passe la matinée et s’est assis sans que le roi lui fît signe. Il a posé ensuite son portefeuille sur la table : le roi a rangé ses papiers ; puis il a tiré de sa poche un mouchoir rouge et l’a posé à côté du portefeuille, puis il a pris sa tabatière et l’a posée à côté du mouchoir. Le roi alors a retiré la sienne en disant : — Il n’y a pas de place pour les deux. — Il ne m’a pas offert de tabac, ajoutait le roi en racontant cette petite aventure. »