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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/537

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diplomatique, le rappel des ambassadeurs et la guerre immédiate. C’était justement ce qu’on avait voulu éviter à Paris, et le roi le disait à ses ministres réunis avec la sagacité de son esprit politique : « Les autres souverains ne sont pas comme nous en contact avec l’Espagne par leurs frontières. Ils peuvent, sans dommage et sans manquer aux devoirs qui me sont imposés, abandonner l’Espagne et son roi à la révolution et à l’influence exclusive de l’Angleterre. Quant à moi, je ne puis rompre mes relations avec ce pays et retirer mon ambassadeur que le jour où cent mille Français passeront la frontière. » C’est sur ce point que le conflit éclatait dans le conseil. Il avait été d’abord dissimulé : M. de Montmorency avait été fait duc à son arrivée à Paris pour le traité secret qu’il avait obtenu ; quelques jours plus tard, dans le mois de décembre 1822, il se trouvait désavoué pour avoir dépassé ses pouvoirs en engageant la France dans une démarche prématurée, — et plutôt que de subir l’affront de ne pas remplir ses engagemens jusqu’au bout, cet homme simple et naïf préférait donner sa démission. La situation devenait certes délicate. La retraite de M. de Montmorency pouvait passer aux yeux des souverains pour le désaveu et l’abandon de ce qui avait été fait au congrès. M. de Villèle ne s’y trompait pas ; il sentait le danger et il se hâtait de dénouer ou de pallier la difficulté en appelant au ministère des affaires étrangères celui qui venait de négocier, lui aussi, avec les souverains, qui avait le mot du congrès, — M. de Chateaubriand lui-même, qui arrivait tout juste à Paris pour remplacer M. de Montmorency. M. de Villèle avait presque besoin de l’imposer au roi.

Éternelle comédie de la politique ! Au fond, M. de Chateaubriand brûlait d’entrer, au ministère comme il avait brûlé d’aller au congrès. Il faisait néanmoins des façons. Il affectait le désintéressement et les scrupules au moment de toucher au but d’une ambition secrète, — et il écrivait à M. de Villèle une lettre, curieux modèle de subtilité, d’ardeur et de calcul. — Pouvait-il décemment prendre le portefeuille des affaires étrangères? Il est vrai qu’il « n’avait pas toujours eu à se louer de M. de Montmorency ; » il passait cependant pour son ami, il donnerait raison aux bruits du monde sur ses cabales contre son chef de la veille ! Après tout, s’il le fallait, on pouvait laisser M. de Montmorency « dans un coin du ministère, » ou lui donner la place de grand veneur : il pourrait alors se décider, il était prêt à se dévouer! Mais ce ne serait pas encore sans difficulté. Il ne pourrait entrer au ministère qu’accompagné de quelques royalistes qu’il fallait désarmer, qui seraient extrêmement dangereux si on ne voulait pas s’arranger avec eux. Enfin, le moment était critique : «Vous pouvez, écrivait-il à M. de Villèle, rester vingt ans où vous êtes et porter la France au plus haut point