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ne voyait que le succès, et, s’il y avait déjà un point noir, il n’était pas dans l’état de l’Espagne, dont on détournait les yeux; il était dans des froissemens intimes, dans le mécontentement de M. de Chateaubriand, qui, croyant avoir tout (ait, commençait à se réveiller de son rêve le jour où, allant aux Tuileries porter ses félicitations au roi, à la famille royale, il s’apercevait tout à coup qu’on le distinguait à peine dans la foule des courtisans, qu’il n’avait que sa part modeste dans le triomphe. Monsieur, la duchesse d’Angoulême, étaient naturellement tout entiers à l’émotion de l’heureuse nouvelle qui venait d’arriver de Cadix : ils n’avaient pas vu M. de Chateaubriand et ils ne lui avaient pas parlé[1] !


III.

A ne voir que le présent, sans considérer l’avenir, c’était sans doute un succès pour la monarchie, qui sortait victorieuse de l’épreuve d’une guerre. C’était aussi, à part le déboire de M. de Chateaubriand aux Tuileries, un succès pour le ministère qui avait présidé à cette épreuve, et ce succès de politique extérieure ne pouvait manquer d’avoir son contre-coup dans la politique intérieure. L’opinion, qui ne résiste pas longtemps à la fortune heureuse, allait au gouvernement, qui semblait désormais affermi. Les oppositions libérales se sentaient vaincues et allaient presque dis- paraître aux élections des premiers jours de 1824, Les royalistes, portés pour ainsi dire par le courant, favorisés par toutes les influences administratives, remplissaient la chambre nouvelle. Le président du conseil, enfin, en jouissant comme les autres de ce succès extérieur qu’il avait contribué à préparer, songeait déjà à en profiter pour réaliser quelques-uns des projets qu’il méditait. Il avait, lui aussi, sa politique intérieure! Il en avait même peut-être deux : l’une, la plus ingrate, la plus douteuse, la politique du chef de parti obligé sans cesse de transiger avec des passions impatientes; l’autre, la vraie, la plus sérieuse et la plus utile, la politique de l’homme d’affaires supérieur voyant et cherchant, avant tout, le bien pratique, l’intérêt du pays.

Soutenu et pressé par une majorité dont les exigences croissaient avec le succès, M. de Villèle ne refusait pas de faire la part des circonstances et de répondre à quelques-uns des vœux des royalistes. Il n’aurait pas voulu subir toutes les conditions, et il se défendait encore, dans tous les cas, contre les impatiences de ceux

  1. C’est M. de Chateaubriand lui-même, qui, dans ses Mémoires d’outre-tombe, a cru devoir raconter cette scène des Tuileries et faire confidence à la postérité de sa petite déconvenue.