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Que devait-il rester de cette campagne, où toutes les influences se rencontraient, où le plus difficile était de savoir ce qu’on voulait ou ce qu’on pouvait faire? Militairement elle avait réussi; elle avait démenti les pronostics de ceux qui, voulant à tout prix lire le présent ou l’avenir dans le passé, dans un passé encore récent, ne prédisaient que des désastres. L’armée nouvelle, sans avoir à livrer de grandes batailles, était allée jusqu’au bout, jusqu’à ces « colonnes d’Hercule » que Napoléon prétendait ne pas connaître, vaillante au feu quand il l’avait fallu, toujours disciplinée et fidèle, digne des vieilles armées de la France. Son chef, aussi modeste que vigilant et sensé, l’avait conduite avec fermeté, avec sagesse. C’était un succès de drapeau, d’esprit militaire. Politiquement, l’expédition devait échouer. Elle n’avait d’autre résultat que de délivrer un roi fourbe, astucieux, obstiné dans ses étroits fanatismes, dévoré de ressentimens. C’est en vain que le duc d’Angoulême et M. de Villèle s’efforçaient de parler de conciliation, de donner à la restauration espagnole le caractère d’un acte de pacification intérieure : ils ne rencontraient que résistances et impossibilités. Le duc d’Angoulême était le dernier à s’y méprendre. Il ne cessait de prévenir M. de Villèle qu’il n’y avait aucune illusion à se faire, que ce pays allait fatalement retomber m dans l’absolutisme, » qu’on n’obtiendrait rien du roi, qui promettrait peut-être et ne tiendrait pas. Au moment où il venait de recevoir dans son camp Ferdinand VII, rendu à la liberté, l’honnête prince français écrivait dans une de ses dernières lettres au président du conseil : « Ce que j’avais prévu est arrivé. J’ai été chez le roi; je lui ai parlé d’étendre l’amnistie le plus possible, d’annoncer quelque chose qui tranquillise tout le monde et donne des sécurités pour l’avenir. Il m’a répondu à tout qu’il verrait, et comme quatre pelés et quatre tondus ont crié : Vive le roi absolu ! il m’a dit que je voyais bien que c’était la volonté du peuple. Je lui ai répondu qu’il fallait ne pas se mettre en position de voir se renouveler les événemens de 1820 et trouver moyen d’avoir du crédit. Maintenant, j’ai la conscience déchargée, je ne dirai plus rien ; mais je vous certifie que toutes les sottises qui peuvent être faites le seront... »

C’est ce qui devait arriver en effet. Avant peu d’années il ne devait rester pour la France que la charge d’une occupation importune par les solidarités morales qu’elle imposait, coûteuse pour les finances; mais on n’en était pas là aux derniers jours de 1823, au moment du retour de M. le duc d’Angoulême. On ne voyait qu’une campagne heureuse, une armée rendue à la monarchie bourbonienne, le prestige militaire de la France reconquis, un acte éclatant de politique extérieure, la monarchie mise hors de péril. On