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l’empereur Alexandre[1]. Le seul résultat de ces agitations frivoles était de mettre à nu, d’irriter l’incurable antagonisme, et la moralité de l’incident des cordons, c’est le comte d’Artois qui la dégageait dans ce petit mot adressé à M. de Villèle : « j’ai reçu et brûlé votre petite lettre. Je me doutais que l’homme ferait le plongeon après avoir voulu prendre la mouche. La situation, assez critique, des élections (on approchait des élections de 1824) peut porter à la douceur et à un peu de longanimité ; mais souvenez-vous que l’homme ne peut ni vous pardonner, ni surtout croire que vous lui pardonniez. Il est et sera toujours votre ennemi... »

Ce n’était donc pas la paix, on ne s’y trompait d’aucun côté, et dans ces conditions, après tant de froissemens dévorés, il est évident que l’affaire de la conversion des rentes, suivant à si peu de distance l’imbroglio des cordons, ne pouvait plus être qu’un prétexte pour en finir, fût-ce par un coup d’autorité. Ici seulement, une certaine inspiration de générosité supérieure manquait dans la manière de conduire la dernière scène du drame, dans ce qu’on pourrait appeler l’exécution d’un homme de génie devenu importun. M. de Chateaubriand a cru et a dit que M. Corbière, qu’il n’aimait pas, avait été le plus opiniâtre à exiger sa disgrâce. Il se trompait : M. Corbière n’y était pour rien, il avait au contraire, par ses hésitations, suspendu un instant toute mesure trop prompte : M. de Villèle lui-même n’avait pas paru disposé à des résolutions précipitées. Le plus vif dans le conseil eût été peut-être un digne gentilhomme peu brillant, mais d’une droiture simple, le baron de Damas, qui déclarait qu’il n’aurait pas voulu rester un instant de plus ministre avec M. de Chateaubriand. Le plus animé surtout était le roi, qui ne déguisait pas ses ressentimens. Louis XVIII avait-il

  1. La faveur que M. de Chateaubriand s’était ménagée à la cour de Russie n’était rien moins qu’agréable à Louis XVIII, et cette distribution de cordons, d’ailleurs assez gauchement faite, finissait par n’être agréable à personne. M. de Villèle avait été blessé de l’oubli de la cour de Russie, oubli réparé après coup sur une intervention presque blessante de son collègue des affaires étrangères. M. de Nesselrode était blessé à son tour de la façon dont il recevait le cordon bleu, et il écrivait à son ambassadeur, M. Pozzo de Borgo : — « Recevoir le cordon bleu sous de pareils auspices n’a, je vous assure, rien qui me satisfasse. Je ne m’y attendais pas, je n’y tiens nullement, et s’il est donné de mauvaise grâce, j’aime tout autant ne pas l’avoir. Ainsi, dans le cas où ce ne serait pas chose faite, tâchez qu’elle n’ait pas lieu... J’avais un moment regretté votre départ de Madrid; mais depuis l’arrivée de votre dernier courrier ces regrets ont cessé, car je vois... que vous êtes revenu à Paris à point nommé pour empêcher une véritable catastrophe. J’aurais regardé comme telle la retraite de Chateaubriand, et c’est un vrai service que vous avez rendu à la cour de l’avoir maintenu en place... » — Si M. Pozzo s’était vanté d’avoir sauvé M. de Chateaubriand, il y avait mis de la complaisance; il devait être bientôt détrompé. Tous ces petits incidens n’avaient peut-être pas peu servi à indisposer le roi Louis XVIII en éveillant ses soupçons sur la diplomatie de M. de Chateaubriand avec la Russie.