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« Je veux continuer le règne de mon frère : j’ai promis de maintenir la charte et les institutions que nous devons au roi que le ciel vient de nous enlever. » Et comme pour mieux prouver qu’il voulait être le continuateur de son frère, il avait commencé par confirmer au pouvoir le ministère qui avait contribué à créer la situation où s’accomplissait ce facile avènement. Le nouveau roi se plaisait à prodiguer les grâces, les faveurs de cour et de fortune à M. le duc d’Orléans, les amnisties pour les condamnés politiques, le bon accueil à tous, même aux libéraux!

Rien de plus curieux que ce début d’un règne qui peu d’années auparavant n’inspirait que des doutes et pesait d’avance sur l’opinion, qui maintenant s’ouvrait au milieu des ovations, des illusions et de la confiance. C’est comme une lune de miel brillante et décevante en pleine restauration, entre la dernière heure de Louis XVIII et le sacre de Charles X!

Quand le nouveau roi se plaisait à dire qu’il voulait continuer le règne de son frère, et « consolider les institutions qu’il avait juré de maintenir, » quand il commençait par la suppression de la censure et par quelques-uns de ces mots heureux qui vont au cœur du peuple, il était sincère assurément. Il était sincère autant que pouvait l’être un prince à l’esprit léger, peu accoutumé à approfondir les choses et facilement enivré d’une popularité nouvelle pour lui. Il croyait ce qu’il disait, il se laissait abuser par des spectacles dont il ne voyait que les dehors. En apparence sans doute le nouveau roi pouvait se faire l’illusion qu’il continuait son prédécesseur ; en réalité, il y avait un changement profond. Tout différait comme les caractères des deux princes. Louis XVIII, dans son impotence physique, avait une rare fermeté d’âme, le sentiment de la dignité royale, l’art d’imposer sa volonté, avec un jugement fin, une singulière liberté d’esprit et le goût des idées nouvelles. C’était un libéral à sa manière! Charles X, avec sa séduction personnelle et sa bonne grâce chevaleresque, avait l’âme inconsistante et mobile, la futilité d’un prince que les événemens avaient éprouvé sans l’éclairer, l’indécision de la volonté alliée à l’obstination dans les préjugés royaux, peu de discernement, l’habitude de la soumission aux influences aristocratiques et sacerdotales qui l’entouraient. C’était un homme d’ancien régime, un fanatique bienveillant et naïf, condescendant par nécessité à la vie moderne sans la comprendre. Par le fait seul de la transmission de la couronne l’orientation avait changé; un autre esprit venait d’entrer dans le gouvernement, insensible peut-être d’abord, prêt à se dévoiler, à éclater à la première occasion. Cette révolution intime et irrésistible, elle était dans la nature des choses, dans les différences de caractères entre les deux rois, dans les exaltations croissantes des