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de projets qui se succédaient bientôt, à travers lesquels s’échappait le secret du nouveau règne.

La première de ces lois livrées à la discussion publique ne tendait à rien moins qu’à inscrire dans le code des pénalités françaises un crime d’un nouveau genre puni des derniers supplices, le sacrilège, la profanation des hosties consacrées. Rapprochée de bien d’autres faits déjà sensibles, de la reconstitution des ordres monastiques, de l’infiltration rapide des influences cléricales dans l’État, dans l’administration, jusque dans l’armée, des ostentations de la piété royale, de la prédominance de ce qu’on appelait la « congrégation, » cette loi ressemblait à une révolution par la réintégration de la théocratie dans la société civile, par l’invasion du dogme dans la politique, par une sorte de déclaration de guerre religieuse. Cette exorbitante anomalie, présentée avec une espèce de naïveté, ne ramenait pas seulement à l’ancien régime, au-delà de la révolution, elle rétrogradait jusqu’au moyen âge, jusqu’aux époques inquisitoriales où l’État se faisait l’instrument de l’Église. Fût-elle destinée à n’être jamais appliquée, à rester une arme d’intimidation, cette loi suffisait pour révéler la pensée de réaction sacerdotale, pour soulever les consciences, irriter l’esprit moderne et mettre le régime en suspicion dans le pays. Si la loi du sacrilège troublait les consciences en évoquant le fantôme d’une domination cléricale antipathique à la France nouvelle, la proposition de rétablissement du droit d’aînesse dans les familles n’inquiétait pas moins le sentiment d’égalité. De fait, il y avait sûrement désormais aussi peu de justice que de prévoyance politique à identifier la monarchie avec l’idée du privilège et des inégalités ; M. de Villèle lui-même n’était pas sans pressentir le danger. Il voyait le principe de l’égalité si profondément enraciné dans les mœurs, dans les habitudes, dans la vie sociale de la France, qu’il croyait peu à la possibilité de toucher à la loi des successions, sans soulever des tempêtes dans la nation; mais il était emporté par le courant, il cédait à des pressions d’aristocratie. Il avait laissé passer sans conviction une proposition désavouée d’avance par l’opinion. Et comme si ce n’était pas assez, aux polémiques passionnées, aux défiances, aux hostilités qui de jour en jour allaient croissant autour de lui, le ministère se préparait à opposer une nouvelle loi sur la presse enlaçant les journaux et toutes les œuvres de l’esprit d’un réseau de répression.

La loi sur la presse après la loi sur le droit d’aînesse, après la loi du sacrilège, c’est ce que M. Royer-Collard appelait le signe de l’existence d’une pensée de faction et de contre-révolution dans le gouvernement. Chacune de ces mesures était une menace ou un