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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/562

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ils représentaient une force irrégulière détachée de l’armée monarchique et toujours prête à se tourner contre le corps de bataille. Ils avaient fait la guerre à tous les ministères modérés, à M. de Richelieu comme à M. Decazes, à M. Pasquier comme à M. de Serre; ils la faisaient à M. de Villèle, et ils saisissaient toutes les occasions, la loi d’indemnité, la conversion des rentes, la loi du sacrilège, les lois sur la presse, le premier incident venu pour renouveler un combat à outrance. Ils étaient plus embarrassans que dangereux; ils comptaient plus de chefs que de soldats, les La Bourdonnaye, les Delalot, les Ogier. Le loyal Hyde de Neuville lui-même se laissait un instant enrôler dans ce bataillon qui avait pour premier mot d’ordre la guerre sans merci et sans trêve à M. de Villèle. Contre M. de Villèle toutes les armes étaient bonnes. Un jour, à l’occasion des marchés Ouvrard, M. de La Bourdonnaye allait jusqu’à essayer de se servir de l’ancien munitionnaire pour embarrasser le président du conseil. « Comment ne chargez-vous pas M. de Villèle? Lui disait-il; vous seriez sûr d’avoir mille défenseurs. — Comment le charger, aurait répondu Ouvrard, puisqu’il n’est pour rien dans mon affaire? — Eh! qu’importe, » reprenait lestement l’interlocuteur. C’était la revanche de la négociation où M. de Villèle avait refusé de subir les conditions de M. de La Bourdonnaye. Cette opposition du royalisme à demi révolutionnaire, cependant, elle n’eût été rien si elle n’eût été animée, étendue et relevée par l’éclat du talent, par le génie de M. de Chateaubriand, qui, en quittant le ministère, avait emporté un immortel ressentiment contre son collègue et avait juré sa destruction.

C’est l’implacable René qui remplissait de sa passion vindicative et de son éloquence retentissante cette guerre de l’opposition royaliste. M. de Villèle n’avait sûrement pas soupçonné quel ennemi il se faisait, quelle puissante colère il suscitait contre lui. Avant que huit jours fussent passés depuis sa disgrâce ministérielle, M. de Chateaubriand avait ouvert les hostilités; il avait écrit son premier bulletin de guerre contre « une administration timide, sans éclat, pleine de ruse, avide de pouvoir, » — Contre un gouvernement dont il était pourtant huit jours avant et qu’il proclamait maintenant « aussi antipathique au génie de la France qu’à la nature de ses institutions. » Le trait personnel à l’adresse de M. de Villèle, et de son « despotisme obscur » et de sa médiocrité « d’homme d’affaires » y était déjà. Tout respirait la haine dès le premier mot, et trois années durant, M. de Chateaubriand poursuivait cette campagne, répandant son amertume à tout propos, faisant de la presse une arme meurtrière, ralliant autour de lui de jeunes écrivains animés de son esprit, intéressant ceux qui trouvent que le génie a toujours raison contre les Corbière, dépassant