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M. Thomas ne parvient plus à dominer le tumulte, peut-être était-ce la première fois que ses exhortations restaient impuissantes. D’un tour de main, les représentans du révérend Jones sont colletés, bousculés, roulés à terre. Ils n’essaient pas de se défendre, protestent à peine et se relèvent prestement dès qu’ils le peuvent pour reprendre, avec un sang-froid magnifique, la lecture interrompue. Ils ne se retirent, ne cèdent décidément la place qu’après plusieurs tentatives désespérées et lorsqu’ils sont bien convaincus qu’on ne souffrira pas qu’ils ouvrent la bouche. Alors, après une consultation à voix basse, on voit les mandataires de M. Jones tourner précipitamment les talons. Les manifestans, étonnés de ce calme, presque surpris de leur victoire, regardent s’éloigner l’expédition non sans saluer son départ de leurs quolibets et de leurs rires. Mais voici qu’un paysan qui passe apporte une stupéfiante nouvelle. L’huissier, le collecteur et leurs infâmes acolytes ont pénétré, un raille plus loin, dans une autre ferme où ils s’efforcent de saisir, au profit du révérend Jones, un veau du révérend Thomas ! c’est trop fort, la foule est jouée ; elle se jette à la poursuite des intrus et ne tarde pas à les rejoindre. On les empoigne, on les pousse du côté d’un large fossé dont l’eau verdâtre et fétide recouvre autant d’immondices que de crapauds. Une grêle de projectiles achève la déroute des infortunés. Sur leurs vêtemens, leur visage, leur barbe, des brisures grasses d’œufs pourris portent le ravage et la souillure. Encore un peu, et ils disparaîtraient sous la vase si, d’un geste suprême de résignation, ils n’indiquaient qu’ils considèrent leur mission comme terminée. Alors on les lâche, et la populace amusée assiste à leur retraite définitive. Demain, ils reviendront en force, et ce sera leur tour d’être vainqueurs. En attendant, la journée est perdue, mais le créancier seul en pâtira, car ses agens n’auront pas volé leurs honoraires. Tout se paie, en effet, aussi bien les heures dépensées en vaines besognes que les coups reçus et les habits déchirés. Pour avoir, comme il en avait le droit, exigé du révérend Thomas l’argent dont celui-ci lui était redevable, le révérend Jones a vu sa créance s’évanouir en fumée. Bien plus, on lui devait, et par l’effet d’une malice vraiment diabolique, maintenant c’est lui qui doit.

Ces violences sont à l’état périodique au pays de Galles. Dans un puissant royaume comme l’Angleterre où la loi est l’objet du respect de tous, de semblables conflagrations agitent l’opinion et la déconcertent. Elles se reproduisent aussi régulièrement que reparaît l’époque des échéances, quelquefois avec un caractère de gravité qu’adversaires et amis de l’église officielle ne se lassent pas de commenter. Ni dans la principauté, ni ailleurs on n’a oublié les événemens dont la paroisse de Llannefydd, du Denbighshire, a été