le théâtre. C’est une histoire qui mérite d’être contée. La commission ecclésiastique s’était efforcée de percevoir les sommes importantes qui lui étaient dues dans cette localité et dans quelques communes avoisinantes. Elle n’y avait pas réussi, la population de ces centres ruraux s’étant fait remarquer par la vivacité de son opposition, plus encore par une sorte d’hostilité farouche à tout ce qui lui rappelle, de près ou de loin, l’existence d’un impôt détesté. En 1888, on avait été obligé de charger la foule, il y avait eu des blessés, et c’est sans doute en souvenir de ces incidens déplorables que les agens de la toute-puissante commission se présentaient, le 11 août 1890, aux portes des villages insurgés, avec une escorte de 15 constables. Leur arrivée est le signal d’un tapage assourdissant. Les hommes soufflent de la trompe, battent de la caisse, sonnent les cloches. Les ménagères s’en mêlent, décrochent leurs ustensiles de cuisine, tambourinent à qui mieux mieux sur le fer-blanc et sur le cuivre. Impassibles au milieu du tumulte, les délégués se mettent en mesure d’accomplir leur mission, pénètrent sans trop d’efforts dans les enclos non gardés. Tout à coup ils se heurtent à une forte barrière, défendue par des buissons épineux et par des chaînes. En ce moment, la colère de la population est si effrayante que l’officier qui commande hésite à s’ouvrir un passage. On n’échange ni grossièretés, ni injures, mais on se regarde et dans les yeux qui se croisent il y a tant de fureur et de défi que la police, heureusement inspirée, est la première à déconseiller l’emploi de la force. Ce jour-là, au dire de témoins oculaires, on fut à deux doigts d’un sanglant conflit. On l’évita cependant et la prudence l’emporta sur la passion. Le cortège officiel remonte en voiture, il annonce à haute voix sa résolution de se retirer. La foule ne l’abandonne pas encore; par des chemins de traverse, elle court à sa rencontre, se répand sur les routes, empêche la circulation, et, toujours menaçante, oblige les chevaux à marcher au pas jusqu’à la nuit. Que faire? il fallait bien que la loi fût exécutée. On s’adresse au chef de la police du comté et sur la réponse de ce fonctionnaire que des troupes seules pourraient tenir les manifestans à distance, on fait appel à l’autorité militaire. Après beaucoup de démarches et de pourparlers, il est entendu qu’un peloton de 40 hussards du 10e régiment sera envoyé de Leeds à Denbigh, un long voyage comme on voit. C’est toute une expédition. Le détachement est sous les ordres d’un capitaine et d’un lieutenant et les hommes sont pourvus de cartouches. Rien ne saurait peindre la stupéfaction des Gallois lorsque, vers cinq heures du soir, les cavaliers apparaissent à l’entrée de la ville, sabre au clair et au grand trot. Une demi-heure s’écoule et les voici chez l’habitant, la mine souriante et le billet de logement à la main.
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