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main sur les écoles. A cet établissement reviendrait, bien entendu, le soin d’examiner s’il ne convient pas que les cours élémentaires cessent d’être donnés en anglais pour être professés en dialecte gallois. Tout cela est déjà bien hardi ; mais la partie la plus significative de la proposition est celle qui a trait à la formation d’un conseil national. Cette assemblée serait élue pour trois ans, et il suffirait que cinq comtés en exprimassent le désir, pour qu’elle fût, de droit, convoquée. On ne voit pas exactement où s’arrêteraient ses prérogatives. Elle procéderait à une enquête rigoureuse, peut-être indiscrète, sur la façon dont sont gérés les domaines de la couronne dans la principauté, sur le revenu des terres royales, des mines et des bois. Puis viendraient les bills régionaux, c’est-à-dire la faculté de légiférer sur la navigation côtière, les ports, les jetées, les chemins de fer, les canaux, les ponts et les docks. Ce serait bien d’une véritable séparation qu’il s’agirait, administrative celle-là et législative aussi, ou peu s’en faut. On connaissait ce que demandait le pays de Galles en fait d’autonomie religieuse : le projet de M. Thomas a révélé qu’il nourrissait de plus vastes ambitions.

N’est-ce pas un symptôme curieux que tous ces peuples de races diverses que la Grande-Bretagne traîne à sa suite, qui lui doivent la meilleure part de leur prospérité et quelques-uns jusqu’à l’existence, aspirent sinon à se détacher d’elle, du moins à arriver à une situation qui les constitue les propres arbitres de leurs destinées? Il ne faut pas s’en étonner outre mesure. L’Angleterre a été pour ceux qu’elle a attirés sous son sceptre une éducatrice puissante et obéie. Les principes qu’elle leur a inculqués, et qui sont les siens, ont développé chez eux le sens pratique, l’égoïsme qui réfléchit et calcule, le besoin de progresser et d’être libres. Le Canada, l’Australie, la colonie du Cap, d’autres territoires encore grandissant sans cesse en indépendance, pourraient témoigner qu’ils se sont assimilé ces enseignemens tant et si bien que le lien qui les unit à la métropole perd de jour en jour de sa force. Certes, la principauté de Galles, partie intégrante des trois royaumes, n’en est pas là: mais avec la question religieuse qui l’obsède et la question civile qui vient de naître, elle démontre à sa manière qu’elle est entraînée, elle aussi, par cet impérieux instinct d’affranchissement. Les peuples, décidément, ressemblent aux individus, et les mères ne sont pas les seules à pleurer le départ des fils ingrats.


JULIEN DECRAIS.