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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/609

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lignes de littérature latine. Il cite une maxime de Térence contre les femmes, mais il ignore qu’elle est de Térence, sicut quidam ait, écrit-il. Il nous informe sur une hérésie fort étrange qui parut, de son temps, à Ravenne. Un certain Vilgaidus « étudiait la grammaire plus assidûment qu’il n’arrive d’ordinaire, à la façon de ces Italiens qui négligent toutes les connaissances pour les lettres; gonflé d’orgueil et de sottise, » il vit une nuit des démons sous la figure de Virgile, d’Horace et de Juvénal, il fut par eux félicité pour le zèle qu’il mettait à lire leurs livres et à les recommander à la postérité; ils lui promirent une gloire semblable à la leur. « Cet homme, trompé par les artifices des démons, se mit donc, avec insolence, à enseigner des doctrines contraires à la sainte loi; selon lui, il fallait croire à toutes les paroles de ces poètes. Il fut jugé et condamné comme hérétique par Pierre, évêque de la ville. On découvrit alors en Italie beaucoup de personnes professant cette croyance pestilentielle : elles périrent par le fer ou par le feu. » Glaber témoigne bien ici de la haine des moines de son temps contre l’antiquité profane. Saint Odon, abbé de Cluny, avait eu l’imprudence, étudiant à Saint-Martin de Tours, d’ouvrir Virgile. Une nuit, il rêva d’un vase magnifique d’où s’élançaient des serpens, c’est-à-dire les doctrines diaboliques du doux poète. Il ne fut plus dès lors que les livres saints, et quand il fut à la tête de la métropole bénédictine de la France, il proscrivit sans pitié tous les auteurs païens de l’éducation de ses novices. Saint Mayeul, l’un des successeurs d’Odon, tendrement vénéré par Glaber, avait lu, à l’école de Lyon, « les anciens philosophes et les mensonges de Virgile ; » devenu abbé, il les frappa d’interdit. Si un ancien lui tombait sous la main, il coupait dans le parchemin tous les passages parlant de l’amour ou des joies terrestres, et ses ciseaux tranchaient « à la façon des ongles. » On contait que Gervin, abbé de Saint-Riquier, séduit par les poètes latins, s’abandonna aux plus tristes désordres, jusqu’au jour où il rejeta avec horreur ces livres criminels, « afin qu’en apprenant les lettres, il n’étranglât pas son âme. » Les clercs errans, qui parurent au XIe siècle, redoublèrent sans doute l’effarement des moines. Ces gais compagnons célébraient en latin élégant la messe du dieu Bacchus, « croyaient à Juvénal plus qu’aux prophètes, lisaient Horace et Virgile au lieu de saint Marc et de saint Paul, » dit un vieux texte. Ils ont relevé la religion de Virgile jusqu’au jour où Dante adorera le poète comme prophète païen du christianisme. L’humble hérésiarque de Ravenne est certainement l’un des premiers affiliés à cette ironique confrérie, et l’un des précurseurs lointains de la renaissance.

Mais le monachisme, après avoir renoncé à la culture antique, jugea que l’ignorance profonde est aussi douce à l’âme que le sommeil