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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/610

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l’est au corps ; il laissa dormir dans la poussière des bibliothèques les pères de l’église eux-mêmes et les premiers docteurs du moyen âge, saint Augustin côte à côte avec Scot Érigène. Un moine distingué du Xe siècle, Jean de Vendièvres, retiré à l’abbaye de Gorze, voulut lire le traité de saint Augustin sur la Trinité ; afin de le mieux comprendre, il se proposait d’étudier d’abord la dialectique dans le livre de Porphyre sur les catégories. L’abbé condamna ce beau projet. « La scolastique, disait-il, est inutile. L’Écriture sainte mérite seule qu’on s’y applique, tout le reste n’est que vanité. » Glaber fut de cette école. Sa scolastique, à lui, se trahit par une réminiscence lamentable du premier moteur immobile d’Aristote. « La bonté du Tout-Puissant, dit-il, mobile sans mouvement et immobile avec mouvement. » Sans doute l’historien n’était point tenu de nous découvrir les beautés de sa métaphysique personnelle. Mais comme il prétendait expliquer la suite des choses humaines par des raisons d’ordre surnaturel, au moins devait-il s’attacher en disciple attentif à saint Augustin. S’il est un livre où se manifestait une philosophie de l’histoire semblable à celle qu’il imaginera lui-même dans les rêveries troubles de sa cellule, c’est assurément la Cité de Dieu. L’évêque africain, voyant le naufrage de Rome et de l’empire, croit assister au premier acte du drame entrevu par Daniel, prédit par saint Jean, confirmé par saint Paul, le duel de l’antéchrist et de Jésus, le conflit de l’enfer et du ciel, au bout duquel Dieu lui-même paraîtra vaincu pendant quelques jours. Telle fut, pour Augustin, la crise finale de l’humanité terrestre, le terme auquel devait s’arrêter l’histoire des fils d’Adam. Les persécutions et les apostasies, le triomphe même des impies, les signes funèbres et les fléaux ne seraient alors que la rançon de la paix divine réservée aux martyrs, aux saints et aux bons croyans. Ce terrible dernier acte ne viendrait d’ailleurs qu’à la suite du millénaire, du règne temporel de l’Église et du Christ sur le monde. Le grand docteur calcule la durée des diverses périodes apocalyptiques, et se demande si les quarante-deux mois que durera l’assaut suprême de Satan contre l’Église seront compris dans ces mille années ou en dehors d’elle. Une seule chose lui semble certaine : l’effort de Satan pour anéantir Dieu.

Malheureusement Glaber n’avait point lu la Cité de Dieu ; il en ignora peut-être jusqu’au titre. Un seul écho lui en est arrivé, la division des six époques à partir d’Adam, des six journées du labeur de l’histoire ; la septième, jour du repos éternel, s’ouvrira quand il plaira à Dieu. La notion des sept époques symboliques était restée dans la tradition du moyen âge. Scot Érigène, au IXe siècle, l’avait reprise en la rattachant à la théorie de l’Église future annoncée par saint Jean, l’Église de la communion intime