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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/617

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visible vaut seulement par la portion d’invisible qu’il recouvre d’un voile épais pour le vulgaire, transparent aux yeux des docteurs ou des saints, tous ces excès de l’idéalisme faussèrent alors l’instrument de la connaissance, et l’effet de cette perversion se montra dans l’abus que les maîtres les plus subtils de la scolastique, de la poésie et de l’art firent du symbole. De Scot Erigène à Duns Scot, il fut entendu que la nature et l’esprit humain sont un chiffre hiératique, les êtres vivans des ombres d’êtres, les phénomènes visibles des symptômes de vies et de volontés occultes, que la parole qui nomme un objet individuel ne répond à rien de réel, que le mot abstrait, qui ne désigne aucun individu, exprime seul la réalité en toute sa plénitude. Le plus grand labeur de la science fut donc l’exégèse de toute chose et de toute pensée étudiées non point en elles-mêmes, mais en vue de la vérité qu’elles enveloppent et font pressentir. La marche de l’esprit fut non en ligne droite, mais en spirale. C’est par un détour que le moyen âge s’efforce de surprendre le secret que cache toute apparence. De là les plus étonnantes inventions, des idées mortes depuis des siècles tout à coup ranimées, par exemple la superstition des nombres mystiques, oubliée depuis Pythagore ; de là l’aberration de toutes les sciences de la nature : alchimie, astrologie, médecine. Le symbolisme, consacré par les théologiens, disciplina l’entendement tout entier ; il s’imposa à l’architecture et à la sculpture ; il traça les caractères d’une langue étrange sur la face des églises, aux mosaïques des basiliques byzantines, autour des chapiteaux romans, à travers les broderies des cathédrales gothiques. Il fut même assez fécond pour produire un art nouveau, l’art héraldique. Il a inspiré chez nous le Roman de la Rose, il a valu à nos voisins la Vita nuova et la Divine Comédie. Dès les premiers tercets de l’Enfer, Dante se voit arrêter, au milieu du sentier indécis de sa vie, par trois bêtes fauves : le lion, la panthère et la louve, détachées du blason féodal de la France, de Florence et de Rome, l’orgueil, l’envie et l’avarice. On retrouverait le symbolisme dans les chants d’amour des Provençaux, dans les lettres de sainte Catherine et les sermons de Savonarole, et je crois qu’il a gâté plus d’un sonnet de Pétrarque.

Raoul Glaber ne pouvait échapper à la condition intellectuelle de son temps : — « Pour nous, chrétiens, dit-il, tout est figure. » — Les premières pages de son livre, intitulées : De la Divine quaternité annonçaient une méthode historique assez extraordinaire. Les quaternités, chiffre sacré, sont, pour les pères grecs, une sorte de loi ou de rythme des choses célestes comme des événemens terrestres ; l’esprit qui veut aborder les hautes spéculations doit commencer par approfondir « leurs influences réciproques. » Et notre