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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/625

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rationaliste plutôt encore que théologique. Deux lignes de Glaber me paraissent ici tort curieuses : « Ils proclamèrent, par leurs détestables aboiemens de chiens, l’hérésie d’Épicure ; ils ne croyaient plus à la punition des crimes, à la récompense éternelle des œuvres de piété. » Si l’épicurisme vint du dehors à ces chanoines d’Orléans, dans les replis d’un manteau de femme, ce fut certainement d’Italie. La secte, recrutée parmi les lettrés, les incrédules, les partisans de l’Empire, les ennemis du pape, est signalée sans cesse au cours du moyen âge italien ; Florence en était la métropole. Au temps des grandes luttes entre guelfes et gibelins, sous les Hohenstauffen et jusqu’à Boniface VIII, l’épicurisme fut une doctrine militante, accident que n’avait point prévu Épicure ; les Farinata et les Cavalcanti bataillaient contre l’Église en se moquant de l’enfer, en poussant même, s’il faut en croire Benvenuto d’Imola, jusqu’à l’athéisme extrême. Épicuriens ou manichéens, les hérétiques d’Orléans provoquèrent un horrible scandale. Un ancien confesseur du roi, Étienne, des femmes, des nonnes, embrassaient la nouvelle religion. Le peuple grondait sourdement et inventait sur les dissidens les calomnies abominables imaginées jadis par les païens contre les premiers chrétiens. Robert et la reine Constance vinrent en personne à Orléans présider au concile épiscopal chargé de juger les apostats. La séance dura neuf heures, dans la cathédrale. Aucun des inculpés ne renia sa foi. Comme l’émeute marchait sur Sainte-Croix, la reine vint se placer devant le portail, afin de contenir la foule. Lorsque les clercs, dégradés de la dignité ecclésiastique, sortirent de l’église, Constance frappa Étienne de son bâton et lui creva un œil. La répression de l’hérésie fut atroce. Le jour des Innocens, quatorze personnes, prêtres et laïques, furent brûlées à une des portes d’Orléans. Ce fut le premier bûcher français, et l’honneur en revient à Robert le Pieux. Le même jour, un ancien chantre de Sainte-Croix, Théodat, mort depuis trois ans, et qui passait pour un saint, fut déterré par l’ordre de l’évêque et jeté à la voirie. Glaber prétend que, du milieu des flammes, les condamnés crièrent pitié, abjurèrent « les artifices du démon » et confessèrent leur erreur. Mais il était trop tard, et le chroniqueur n’a que du dédain pour cette contrition in extremis. « Le châtiment de ces insensés, dit-il, fit briller avec plus d’éclat que jamais, dans le monde, la vénérable foi catholique. »

Brûler des chanoines et des bourgeois, l’œuvre était facile. On y revint souvent, car le moyen âge crut qu’à force d’allumer des brasiers sous les pieds des hérétiques, il réduirait en cendres Satan lui-même. Cet espoir fut cruellement déçu. Le tentateur pénètre,