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auguste, ni l’art de la dialectique, ni la science de l’exégèse. Dans une doctrine nouvelle, ils ne savaient démêler ni les origines philosophiques, ni la tradition historique, ni le sens politique. Elles leur paraissaient toutes égales en perversité ; une violation de la discipline religieuse leur semblait aussi damnable que la négation de la Trinité ou de la création. N’avait-on pas, au IXe siècle, arraché à son sépulcre et jugé, selon une procédure effroyable, le pape Formose, la chape sur les épaules et la mitre au front? Or, Formose, étant évêque, avait simplement manqué à certaines règles d’obéissance hiérarchique. On retira de sa main glacée l’anneau pontifical, et, sous les yeux des prêtres et du peuple, on le jeta au Tibre, lui qui, chef de l’Église, avait cependant condamné Photius. Qu’un illuminé, Leutardus, à qui le diable s’est révélé dans le bourdonnement d’un essaim d’abeilles, prêche aux paysans de sa province que les prophètes se sont parfois trompés et qu’il est bon de ne plus payer la dîme féodale, Glaber le dénonce à la chrétienté côte à côte avec Vilgardus, l’humaniste de Ravenne. D’ailleurs, l’évangile de Leutardus, où se cachait un vague instinct de jacquerie, n’alla pas bien loin. Le pauvre homme, excommunié par son évêque, se jeta dans un puits.

Une hérésie beaucoup plus grave éclata dans la cathédrale d’Orléans en 1022. « Une femme possédée par le diable, diabolo plena, l’avait apportée d’Italie en France. » Elle fut acceptée par plusieurs chanoines de Sainte-Croix, qui la propagèrent dans la ville et les environs. Le chroniqueur ne nous donne point d’informations claires sur cette doctrine. Il est peu probable que le catharisme pur, celui des futurs Albigeois, dont les premières chapelles ne se montrent en Lombardie que vers 1035, ait pu passer de la péninsule dans la France centrale dès le commencement du XIe siècle. Des germes flottans du vieux manichéisme asiatique, toujours vivaces, recueillis alors par quelques consciences inquiètes, ont dû se développer çà et là, d’une façon spontanée : il y avait de ces cathares autochtones en Champagne, antérieurement même à l’an 1000, et la profession de foi de Gerbert, pour son intronisation au siège de Reims, vise certainement la plus originale de ces doctrines manichéennes, l’éternité du principe du mal, le diable coéternel à Dieu. Les clercs d’Orléans rejetaient, selon Raoul, la trinité des personnes dans l’unité de Dieu, ils professaient l’éternité du monde. Les actes des conciles d’Orléans et d’Arras, et les Miracles de saint Benoît nous en apprennent plus long : le baptême, l’Eucharistie, la sainte Vierge, le culte des saints, la hiérarchie sacerdotale, la liturgie, l’encens et les cloches, aucune croyance, aucune pratique chrétienne n’était épargnée. C’était une théorie toute négative, plus semblable peut-être à l’hérésie vaudoise qu’au catharisme même,