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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/635

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est de 90 à 210 francs ; l’ouvrier et le patron supportent les deux tiers de la dépense; le surplus, soit un tiers seulement, reste à la charge de l’État. Soixante-dix ans, c’est bien tard ; 90 francs, c’est bien peu.

Nos ministres voudraient faire mieux. Ils proposent donc d’abaisser à cinquante-cinq ans l’âge de la retraite et d’accroître notablement l’importance de la pension viagère qui varierait entre 300 et 600 francs au maximum. L’État s’engagerait à fournir les deux tiers des sommes versées par les ouvriers et les patrons. C’est le contraire de la proportion admise outre-Rhin. Enfin la loi allemande prescrit l’assurance obligatoire; la nôtre, plus libérale, pour l’ouvrier du moins, le laisse maître de ne pas profiter des avantages qui lui sont offerts. Le patron n’est pas consulté.

Le projet français repose sur l’hypothèse suivante : A supposer que l’ouvrier, travaillant en moyenne 290 jours par an, fit des économies quotidiennes équivalentes aux versemens prévus par la loi (0 fr. 05 ou fr. 10 pour sa quote-part personnelle et autant pour celle des patrons), les sommes épargnées ainsi et capitalisées à 4 pour 100 lui procureraient, au bout de trente années, 180 ou 360 francs de pension annuelle. La subvention de l’État, jusqu’à concurrence des deux tiers, porterait la pension de retraite à 300 ou à 600 francs.

Ce plan financier semble pécher par la base, c’est-à-dire par le taux de capitalisation à 4 pour 100, qui soulève les critiques sévères de nos meilleurs économistes[1]. Nous serions curieux de savoir, en effet, quel placement de tout repos donne aujourd’hui un intérêt aussi rémunérateur. Ni la rente française assurément, ni les valeurs foncières. L’argent ne rapporte plus guère que 3 pour 100 chez nous, comme dans tous les pays dont le crédit est solide, 4 pour 100, allègue-t-on, est le taux que la caisse nationale des retraites pour la vieillesse garantit à ses déposans. Oui, sans doute; mais au prix de quels sacrifices? Oublie-t-on ce que cette bonification d’intérêt a coûté successivement à l’État? On paraît perdre de vue également que la Caisse des dépôts et consignations solde en déficit ses opérations avec les caisses d’épargne. Le taux réel des intérêts qu’elle touche à leur compte est sensiblement inférieur au taux légal des intérêts qu’elle leur paie. Cet écart va sans cesse grandissant, et les réserves amassées autrefois, quand une situation inverse permettait de réaliser des excédens, risquent d’être absorbées en entier. La baisse du taux de l’intérêt est un phénomène absolument général, dont la marche progressive se trouve constatée

  1. Voir, entre autres, le lumineux article de M. Paul Leroy-Beaulieu dans l’Économiste français du 4 juillet 1891.