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sont achevés en majeure partie, et maintenant la plupart des peuples prétendent créer eux-mêmes leur propre outillage et utiliser leurs matières premières sans recourir aux Européens, dont tous les procédés et les secrets sont connus. Chaque pays prend comme devise un étroit fara da se économique et industriel, sauf toutefois pour nos capitaux, qu’on s’empresse beaucoup plus d’emprunter que de rembourser. Quant aux travaux publics dans les continens lointains, la situation précaire des républiques sud-américaines, pour ne citer qu’un exemple, n’est pas de nature à inspirer confiance. Qu’un simple particulier aventure sa fortune dans des entreprises aléatoires, nul n’a rien à y redire; ses risques personnels ne regardent que lui. Au contraire, lorsque des intérêts collectifs inhabiles à se défendre eux-mêmes sont en jeu, la plus sévère prudence devient un rigoureux devoir. Aurait-on le droit d’exposer les économies de l’ouvrier aux hasards de faillites désastreuses, et qui répondrait des pertes? Les règles strictes, destinées chez nous à sauvegarder les biens des mineurs, des hospices ou des communautés seraient évidemment les seules applicables.

Nos rentes françaises, il est vrai, assureraient aux placemens les garanties requises. Mais elles rapportent 3 pour cent, ce qui ne permet pas de capitaliser à h. Une demande plus forte surélèverait les cours et abaisserait par suite le taux de l’intérêt. Déjà les financiers experts se plaignent que les achats effectués pour le compte des caisses d’épargne provoquent des mouvemens de hausse artificielle, et viennent troubler ainsi les rapports vrais de toutes les valeurs. Pourtant ces opérations n’ont pour base qu’un capital de 2 à 3 milliards environ. Quelle perturbation profonde sur le marché général, quelles crises financières à répercussions incalculables, si le capital à placer était de 16 milliards !

Même objection touchant nos chemins de fer ; le titre est sûr, mais l’intérêt ne dépasse guère celui de notre rente. D’ailleurs, l’État est nu-propriétaire des voies ferrées, qui lui feront retour en 1950 au plus tard. La caisse des retraites devrait évidemment se préparer à cette échéance, liquider ses actions en portefeuille et chercher l’emploi de ses disponibilités à une époque où, suivant toutes les prévisions, le revenu de l’argent serait encore moindre qu’aujourd’hui.

Il y a bien les fonds publics étrangers. Mais d’abord l’intérêt payé est en proportion inverse de la sécurité du placement. Puis dans l’état de paix armée où se trouve l’Europe entière, nous avons peine à nous figurer la France prêtant son épargne et ses capitaux à des pays qui pourraient bientôt s’en servir contre elle. « Faites-moi de bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances. » Ce mot connu reste toujours vrai. Encore ne faut-il pas diriger les