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Voilà une variété de rôles bien scabreux pour le maître Jacques officiel, dont les services passés n’ont rien de rassurant en ce genre. L’État, comme conservateur des fonds dont il est répondant, n’inspire qu’une confiance limitée. Que sont devenus les fonds d’amortissement, ceux des caisses d’épargne et tant d’autres? Tous ont été absorbés peu à peu, et le gouvernement, pour apurer ses comptes, a toujours pris le parti de consolider sa dette, de faire un emprunt et d’émettre de nouvelles rentes, dont les intérêts annuels grevaient d’autant le budget. Ces titres réunissent toutes les garanties possibles, et le revenu en est assuré, personne ne le conteste. Mais sur quoi repose cette sécurité? Nullement sur des capitaux placés ou sur des propriétés domaniales d’une valeur considérable ; uniquement sur le crédit de la nation et en définitive sur l’impôt.

Quoique bien ancien, l’État n’a presque jamais su et sait de moins en moins se créer des fonds de réserve. On lui demande aujourd’hui de capitaliser les économies d’innombrables travailleurs pour leur ménager des retraites dans l’avenir. A-t-on songé que cette gigantesque entreprise laisserait beaucoup plus de latitude que par le passé, aux viremens, aux anticipations de crédits en un mot aux mille formes de dissipation et de gaspillage ? Pas même la moindre obligation immédiate qui vînt servir d’entrave ou de frein. Car le principal des dépôts ne pourrait pas être réclamé, comme dans le cas des caisses d’épargne, et l’idée-mère du projet actuel consiste à encaisser pendant trente ans sans rien débourser. L’échéance viendrait pourtant; il faudrait finir par payer les retraites promises. Comment remplir cet engagement, si l’avoir n’était plus représenté que par une capitalisation d’écritures? Cette fois encore l’État n’aurait pas d’autre moyen que de consolider sa dette ouvrière, d’émettre une quantité de rentes équivalentes, et de les gager sur l’impôt. Bilan résumé de l’opération : un milliard ou même deux ajoutés aux charges budgétaires annuelles, et la dette nationale doublée peut-être.

Mettant les choses au mieux, supposons que le montant des cotisations ait été conservé intégralement avec une fidélité scrupuleuse. Le gouvernement s’attribuerait-il la mission d’en tirer profit lui-même, à l’aide de ses propres agens, et sous sa responsabilité directe? Les inconvéniens et les périls d’un pareil système ont à peine besoin d’être signalés. Nul n’ignore la prodigalité, la lenteur, les difficultés et les délais de règlement ou de contrôle qui sont inséparables des travaux exécutés par l’État, quels que soient le mérite et l’honorabilité de ses ingénieurs[1]. L’exploitation des lignes

  1. D’après une enquête sérieuse sur l’Algérie, l’effet utile des sommes employées par l’État en travaux publics serait de 23 pour 100 au maximum, et plus exactement sans doute de 15 ou même de 10 pour 100 seulement. La déperdition s’élèverait donc à 77 pour 100 au minimum, dont 60 pour 100 de frais administratifs. Sur 100 francs versés par le contribuable, 23 francs à peine se transformeraient en travail effectif. (Le Temps, 5 septembre 1891.)