Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/643

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ferrées qu’il dirige actuellement est beaucoup plus coûteuse que celle des compagnies. Sous prétexte d’intérêt public, on commencerait un peu partout des travaux d’intérêt local, maritime ou militaire, électoral aussi sans doute, tous plus ou moins plausibles, mais ne répondant pas au vœu de la loi, qui est la constitution d’un capital donnant un revenu. Nous assisterions à de vastes et improductives entreprises dans lesquelles l’influence menaçante des syndicats ouvriers ne tarderait pas à prévaloir. Qui sait si nous ne reverrions pas les beaux jours des ateliers nationaux?

Pour échapper à des dangers trop certains et se défendre contre ses propres entraînemens, l’État mettrait-il ses capitaux en régie, ou les confierait-il à de nouveaux fermiers-généraux, chargés de les faire fructifier, et admis naturellement au partage des bénéfices? Tous comptes réglés, que resterait-il à la caisse des retraites, même en cas de succès? Qui couvrirait les risques et les déficits? L’État, évidemment, c’est-à-dire nous tous, les contribuables.

Sans pousser plus loin une investigation sommaire, il faut reconnaître que ces combinaisons diverses amèneraient de fâcheux déboires. La mise à la retraite des fonctionnaires publics suscite déjà de tels embarras, les obligations contractées envers eux se trouvent si onéreuses que le gouvernement se voit forcé de les éluder, au grand préjudice des affaires administratives et au détriment des ayans droit. Il marchande à de vieux serviteurs une chétive pension, fruit des retenues prélevées sur leurs appointemens. La somme est pourtant de 40 millions à peine, une obole. Et l’on compte sur l’État pour construire de toutes pièces et mettre en branle un puissant mécanisme, aspirant l’épargne des travailleurs, la convertissant en capital productif, et la leur rendant sous la forme de retraites annuelles, distribuées à 2 ou 3 millions de pensionnaires, et d’une valeur de 1 ou 2 milliards. Cela rappelle la fameuse machine de l’Exposition universelle de 1867. On y introduisait un lapin, et il en sortait un chapeau. Seulement le chapeau sortait tout de suite ; la pension de retraite ne viendrait que dans trente ans. Singulière idée, on l’avouera, de confier à l’État, au plus incorrigible des prodigues et des imprévoyans, la gestion et l’avenir des institutions de prévoyance.

Nous entendons bien que la loi aurait l’avantage immédiat de remplir largement les coffres du trésor. C’est cet avantage même qui nous effraie, et qui a préoccupé visiblement les auteurs du