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un peu d’assurance mutuelle ne doit pas blesser les susceptibilités les plus chatouilleuses. C’est précisément un des beaux côtés du contre-projet réformiste qu’il ne s’y rencontre rien de choquant pour les travailleurs, puisque les riches toucheraient la même retraite qu’eux. Personne ne serait humilié, dès que l’humiliation deviendrait universelle.

Enfin, l’universalité des retraites simplifierait les opérations de trésorerie et les écritures, ce qui n’est pas à dédaigner. Nul besoin de créer à grands frais une administration particulière avec ses rouages compliqués et son nombreux personnel. Il suffirait d’ajouter une branche supplémentaire à la comptabilité des receveurs d’impôts, qui seraient chargés de payer les pensions dans chaque localité. Pas de pièces multiples à produire, pas de formalités gênantes, pas d’enquêtes policières ayant pour but de rechercher si le revenu de tel ou tel est supérieur à 600 francs. Un simple acte de naissance à présenter, et l’ayant droit touche sa rente.

A quelles sources faudrait-il puiser les sommes indispensables au nouveau service? Tout d’abord interviendrait ici la nécessité d’une dérogation fâcheuse à notre excellent système fiscal ; l’unité de l’impôt qui en est la base ne pourrait être maintenue. Un accroissement énorme de dépenses budgétaires résulterait, en effet, du paiement annuel des retraites. Pour éviter des confusions regrettables, force serait donc d’y affecter des taxes spéciales et d’en faire un chapitre à part. La comparaison facile à établir, par doit et avoir, entre les avantages et les sacrifices correspondans contribuerait à l’éducation économique du peuple, qui laisse encore à désirer.

Suivant une idée profondément enracinée dans l’esprit des masses, l’État est riche, infiniment riche. L’imagination populaire se le figure volontiers comme le réceptacle immense et inépuisable de la fortune publique. Illusion déplorable, que l’on ne saurait trop s’appliquer à détruire. Non, l’État n’est pas riche ; l’État est pauvre. Loin même d’être un pauvre honteux, il est le plus indiscret, le plus dénué, et aussi le plus prodigue des quémandeurs. Il use et abuse de sa force pour prendre dans toutes les bourses, petites ou grandes; il emprunte toujours, sans rembourser jamais. Faute de pouvoir modifier ces conditions pénibles, on s’y résigne; mais la prudence conseille de ne pas les aggraver en confondant le service des retraites dans l’ensemble du budget national. Le peuple sera moins tenté de réclamer sans cesse l’augmentation du chiffre des pensions s’il connaît bien le poids des charges qu’il assume et le prix que ses exigences lui coûteraient. C’est donc le cas ou jamais de lui montrer d’où vient l’argent.

Les ressources affectées aux destinations du contre-projet de loi