l’éternelle querelle entre les droits des collectivités et ceux des individus, il n’entrait assurément pas dans la pensée du législateur que la liberté d’association dût supprimer la liberté individuelle, ni qu’une part quelconque de souveraineté sur les citoyens fût déléguée à des corporations d’un nouveau genre. Mais en France, qui connaît la loi? C’est cette ignorance fâcheuse qu’il importerait d’abord de combattre.
Maintenues ou modifiées dans leurs termes, les prescriptions législatives sur les syndicats devraient être connues et comprises de tous, en réalité, et non pas uniquement d’après une fiction juridique. Que la loi, dérogeant en ce cas à ses habitudes de concision nécessaire, se fasse donc elle-même l’éducatrice de ceux qu’elle a mission de protéger. Qu’une sorte de commentaire en explique la lettre et surtout l’esprit dans une forme claire, sans apprêt, intelligible pour les moins instruits. Pas de glose savante, pas de termes techniques dont le sens échappe, sauf aux initiés. Un exposé simple, familier, presque naïf; quelque chose comme un catéchisme laïque et syndical, ou si l’on préfère, un manuel du parfait syndiqué. Par exemple :
Le pouvoir souverain appartient à la nation seule. Aucun pouvoir sur les personnes n’appartient aux syndicats.
L’obéissance est due aux lois votées par la majorité des assemblées législatives, qui représentent le peuple. Nulle obéissance n’est due à aucune majorité d’aucun syndicat, lequel représente des particuliers.
Le droit de faire grève signifie le droit de ne pas travailler soi-même, mais ne signifie pas le droit d’empêcher ou d’entraver le travail des autres, etc.
Ainsi l’ouvrier apprendrait à mieux connaître ses privilèges. Pourquoi non ? Il saurait également que le premier de tous est de ne pas se laisser opprimer, même par les camarades. Quel effet produirait sur les foules ce petit cours de droit populaire? L’expérience n’est pas coûteuse ; on peut toujours essayer.
La loi de 1884, qu’un usage abusif transforme en instrument de servitude, offre des armes défensives à la liberté. Un des moyens les plus efficaces d’éviter la tyrannie syndicale serait d’opposer à syndicat syndicat et demi. Les coalitions formées par les minorités dissidentes serviraient de correctif aux excès de pouvoir commis par les majorités oppressives. Cette fondation de syndicats parallèles dans un même corps d’état assurerait la loyauté et la plénitude de la discussion, à l’abri des menaces et des violences que les ouvriers exercent si facilement les uns sur les autres. D’ailleurs, la diversité des groupes se justifierait pleinement par la