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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/659

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différence des intérêts, des besoins et des charges. Rien n’empêcherait que n’importe quel corps de métier comptât à la fois un syndicat de célibataires et un syndicat d’hommes mariés. Si les uns veulent faire des syndicats d’agitation, pourquoi les autres ne constitueraient-ils pas des syndicats d’apaisement? Il est dans l’intérêt même des associations ouvrières que les travailleurs montrent quelque initiative en faveur de l’indépendance individuelle.

Les syndicats, en effet, commencent à fatiguer l’opinion, qui leur était d’abord favorable ; les derniers événemens de Toulouse, après tant d’autres, ne sont pas de nature à leur ramener les sympathies publiques. On réclame des sévérités nouvelles, imposant aux syndicats solidairement des responsabilités pécuniaires et à leurs chefs des responsabilités personnelles, en cas de violences ou de dégâts matériels provoqués par eux. Qu’auraient à dire aussi les syndicats ouvriers, qui s’arrogent le privilège exclusif de conférer le droit au travail, si l’on proposait de leur appliquer les prescriptions pénales contre les accapareurs? Dans les couloirs de la chambre on a même parlé un instant de recourir aux lois rigoureuses de la Convention. Plaise plutôt au quatrième État de consentir à rentrer dans le droit commun. Sinon, son omnipotence susciterait bientôt les révoltes d’un cinquième État, qui se plaindrait à son tour de n’être rien et voudrait être tout[1]. Ce serait sans cesse à recommencer.

L’association est une excellente chose; mais elle risque d’aboutir, par une pente rapide et glissante, à la confiscation de la liberté individuelle. Summum jus summa injuria. Vieux dicton rebattu qui, pour être latin, n’en est pas moins éternel, et partant toujours actuel. L’Économiste français reproduisait dernièrement la dépêche suivante, communiquée de Saint-Étienne à l’agence Havas : « On sait que les mécaniciens machinistes des compagnies houillères de tout le bassin se sont mis en grève il y a quatre jours pour faire accepter par les compagnies cette règle, que dorénavant elles ne pourraient prendre comme apprentis mécaniciens que des jeunes gens fils de mécaniciens syndiqués ou agréés par le syndicat des mécaniciens. » Les syndicats ouvriers ne se refusent rien

  1. Comme symptôme, ne voyons-nous pas déjà, en Angleterre, surgir les revendications d’une sorte de cinquième État, sous la rubrique d’Unskilled Labor, catégorie flottante du travail inférieur n’exigeant point l’habileté de main des ouvriers et des artisans professionnels? Ces nombreux hommes de peine et manouvriers protestent non-seulement contre la modicité relative et l’incertitude de leurs salaires, mais encore contre la supériorité dédaigneuse des travailleurs bien classés qu’ils accusent de ne pas fraterniser avec eux, et d’être « les bourgeois de l’avenir. » On est toujours le bourgeois de quelqu’un.