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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/667

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que je répète aujourd’hui, que j’ai été plus heureux que sage, quoique les succès se mettent ordinairement sur le compte des plans, calculs et dispositions; or, dans celle-ci, l’évacuation de Thiel me paraissait le résultat évident d’une opération rétrograde, tandis que ce mouvement était l’effet d’un malentendu. »

Quoi qu’il en soit, ce passage du Wahal, exécuté de vive force, eut d’énormes conséquences; les Hollandais, séparés de leurs alliés, abandonnés par eux, s’abandonnaient eux-mêmes. Naarden, le chef-d’œuvre de Coehorn, l’émule de Vauban, Naarden, qui avait arrêté Louis XIV triomphant, s’était rendu sans coup férir à Macdonald ; tout fier, il courut en porter la capitulation à Pichegru : « Bah! lui dit en riant celui-ci, je ne reçois plus que des capitulations de provinces! » La température s’était radoucie; Macdonald put encore traverser l’Yssel sur la glace craquante, mais par-delà il fallut marcher dans la boue, et bientôt l’inondation couvrit tout, chemins et champs. Il arriva ainsi jusqu’à l’Ems, de l’autre côté duquel il aperçut des Prussiens ; mais ils venaient simplement lui annoncer que la paix avait été signée à Bâle entre la France et la Prusse. Il paya les fatigues de cette rude campagne d’une fièvre qui faillit l’emporter, et dont les médecins ne purent triompher qu’au bout d’un an.

Au mois de septembre 1796, il fut envoyé sur le Rhin pour couvrir la retraite de l’armée de Sambre-et-Meuse ; il y marchait de nouveau l’année suivante, lorsque la paix de Campo-Formio vint arrêter les progrès des armées françaises en Allemagne. Alors on vit arriver à Cologne le général Augereau, couvert des lauriers du 18 fructidor par-dessus les palmes de Castiglione. Le nouveau général en chef était éblouissant d’or; il en avait jusque sur ses bottes courtes. Rempli de dédain pour cette misérable armée de Hollande, famélique et mal vêtue, il vantait les troupes d’Italie, leur bien-être, leurs exploits, les siens propres, sans nommer une seule fois le général Bonaparte ; là, disait-il devant de pauvres soldats en guenilles, il n’y en avait pas un, si mauvais sujet fùt-il, qui n’eût dans sa poche dix louis et une montre d’or : « C’était, remarque Macdonald, un avis pour les nôtres. » Augereau avait pour acolyte le général Lefebvre ; on verra dans les Souvenirs les excentricités grossières de ce brave homme ; il suffira d’en rapporter ici un trait, le plus convenable. Le général en chef avait demandé au directeur du théâtre une pièce bien révolutionnaire ; on lui donna une tragédie de Voltaire, Brutus ou peut-être la Mort de César; le bon Lefebvre, qui croyait de bonne foi que c’était une pièce de circonstance, applaudissait de ses grosses mains, tout en bourrant du coude le flanc de son voisin, qu’il interpellait à chaque