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l’accuser de mauvais desseins, de trahison même, pour être resté à l’armée, au mépris du décret d’expulsion. On lui refusa la réquisition écrite. « Eh bien ! s’écria-t-il, je vais me retirer. — Si tu quittes, nous te faisons arrêter et mettre en jugement. » Il resta donc entre deux menaces de mort. Il avait sans s’en douter un protecteur à Paris ; c’était le représentant Isoré, qui l’avait vu à l’œuvre sur la frontière : Macdonald était un nom étranger ; il n’était pas précédé de l’odieuse particule ; donc, celui qui le portait ne pouvait être compris ni compromis parmi les ci-devant nobles ; telle fut l’argumentation d’Isoré, qui lui écrivit : « Ta naissance ne m’est pas suspecte ; tu es venu dans le bon temps ; il n’y a pas d’âge plus révolutionnaire que le nôtre et les preuves sont pour toi. J’ai vu le ministre de la guerre et j’ai détourné l’orage qui grondait sur toi. Sois tranquille, travaille comme à l’ordinaire ; si on te tracasse, je serai ton défenseur. Emploie tes talens, perfectionne tes connaissances militaires, et continue à frotter les esclaves ; jamais tu n’auras à craindre de destitution. » Ce fut contre Macdonald le dernier effort de l’acharnement révolutionnaire.

Il prit, sous Pichegru, une part active à la conquête de la Belgique et de la Hollande ; ce fut en ce temps-là qu’il fit la connaissance de Moreau. Vers la fin de novembre 1794, il était en quartier près de Nimègue, lorsqu’il reçut, sans y avoir pensé, le brevet de général de division ; il venait d’avoir vingt-neuf ans ; trois années plus tôt, il n’était qu’un simple lieutenant d’infanterie. Ce fut par un coup d’éclat qu’il inaugura son nouveau grade. Le Wahal était gelé ; sur la rive droite s’étendait la ligne des Anglo-Hanovriens ; un matin, Macdonald crut voir chez l’ennemi des indices de retraite ; trois divisions étaient momentanément sous ses ordres, il leur fit passer le fleuve sur la glace ; mais le mouvement rétrograde qu’il avait remarqué n’était que l’effet d’un malentendu ; un rude combat s’ensuivit, et l’ennemi, qui n’avait pas eu l’intention de se retirer, y fut contraint, en dépit de sa résistance. Ce qui est encore plus à l’honneur de Macdonald, c’est qu’il ne s’en fit pas accroire ; les réflexions que lui suggéra son succès sont utiles à connaître, parce qu’elles sont une preuve de son bon esprit en même temps qu’un avis profitable aux hommes du métier. « Je rentrai, dit-il, à Nimègue pour faire mon rapport. Le général en chef et les commissaires accoururent ; j’étais presque honteux de leurs félicitations, attendu que le hasard avait eu plus de part au résultat de cette journée que mes combinaisons qui, de bonne foi, n’étaient fondées que sur l’apparente retraite des forces opposées qui n’y songeaient point. Cet événement prouve que, dans beaucoup d’occasions comme celle-ci, il faut à la guerre donner quelquefois au hasard ; car, dans cette circonstance, j’ai dit alors ce