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kilomètres, une vaste étendue de terrain avec d’immenses lougans, une ligne de mares, des lambeaux de terres incultes où l’on devine la roche ferrugineuse sous les herbes folles, quelques bouquets de grands arbres et par endroits à demi couchés dans les mils, des groupes de cases malinkés, tel est Ouaggadougou. N’était le déboisement des environs, rien ne révélerait au voyageur que c’est là un grand centre et la demeure d’un souverain. »

Cette capitale, qui n’est qu’une agglomération confuse de hameaux de culture, offre une fidèle image du royaume tout entier ; il est fait de pièces et de morceaux, et ces pièces sont mal ajustées. La légende rapporte que le premier naba du Mossi eut 333 fils, qui à sa mort se partagèrent son héritage et, devenus nabas, transmirent leur pouvoir à leur descendance directe. Aujourd’hui encore, le pays se divise, dit-on, en 333 provinces, qui ont chacune leur chef héréditaire, et le naba d’Ouaggadougou a la prétention de régner sur 333 rois. « Au fils aîné du premier roi de Mossi était échue la province d’Ouaggadougou et avec elle l’autorité sur ses frères. Cette autorité s’est conservée à sa descendance, mais le temps et les circonstances l’ont considérablement amoindrie. Le naba d’Ouaggadougou n’est considéré par les autres nabas que comme le premier d’entre eux et le chef de leur famille. Il y a une hiérarchie parmi ces nabas. L’apanage primitif de chacun des fils du conquérant a dû être morcelé à diverses époques ; de telle sorte qu’il n’y a guère aujourd’hui de petit village qui n’ait son naba et que chacun de ces nabas est à la fois suzerain et vassal. Il y a aussi des préséances, et quatre de ces chefs jouissent du curieux privilège de ne pas avoir à tendre la main lorsqu’un grand marabout, par exemple, vient les saluer. »

Comme tous les pays soumis au régime féodal, le Mossi est perpétuellement troublé par les zizanies domestiques et les guerres civiles, et le pouvoir central n’y fait guère sentir son action. Le roi de 333 rois n’exerce sur ses nombreux vassaux qu’un pouvoir purement nominal. Ses richesses si vantées par les noirs sont chimériques ; son palais tombe en ruines. Il vit entouré de quelques serviteurs choisis. Il a dix chevaux au plus ; en revanche, il a une centaine d’eunuques, et ses eunuques sont la consolation de son orgueil.

Mais il n’a pas d’armée, et qu’est-ce qu’un souverain sans soldats ? Il n’intervient dans les guerres civiles que pour prêcher la modération aux belligérans. Quand il a parlé, les petits nabas obéissent quelquefois ; le plus souvent, ils n’en font qu’à leur tête, et sa seule vengeance est de les bouder quelque temps. À la vérité, il prélève quelques impôts, mais ils ne lui sont donnés qu’à titre de présens volontaires. Triste sort que celui de ce roi des rois. Il a des prétentions sans limites, et tout lui en démontre la vanité ; il se regarde comme un très grand personnage, et tout lui fait sentir sa faiblesse. En réalité, il ne gouverne