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que sa capitale. Il y a quelques années, un petit naba des environs est venu piller en plein jour un de ses marchés ; cet audacieux roitelet n’a pas été encore puni. Une anarchie tempérée par les conseils d’un souverain qui n’a pas d’autre droit que celui d’en donner, c’est ainsi qu’on entend la politique dans le Mossi. Les pillards s’en trouvent bien; les pillés se consolent en guettant l’occasion de piller à leur tour.

Ce n’est pas seulement par l’étendue de leur pouvoir que le fama du Kénédougou et Bocary, grand naba du Mossi, diffèrent l’un de l’autre; visage, caractère, humeur, croyances, habitudes, ils ne se ressemblent en rien. Le capitaine Quiquandon prit tout de suite en goût le roi Tiéba; dès le premier jour, il se sentit attiré par cet homme de quarante-cinq ans, grand, fort, vigoureux, dont la figure exprime une sorte de bonté goguenarde et un peu narquoise. Le regard est franc, l’œil très clair, le nez droit, un peu fort, la bouche bien dessinée, le menton allongé et orné d’une petite barbiche de marabout. Vêtu avec quelque recherche et une certaine coquetterie, portant un ample et long boubou en tissu européen, et un pantalon à plis nombreux, qui dépasse à peine le genou, chaussé de sandales ou de bottes ouvragées, coiffé du petit bonnet rond des Toucouleurs, que surmonte quelquefois un chapeau pointu aux larges ailes, Tiéba méprise les amulettes. Il n’a sur lui ni têtes d’oiseaux, ni cornes de biche enveloppées de drap rouge, ni gourdes de pèlerins, ni queues de vaches, ni gris-gris. Tout au plus, les jours de combat, revêt-il un petit boubou à talismans, souvenir de sa première jeunesse.

Autant que les amulettes, il méprise les vanités chères à la morgue africaine, et il ne met pas sa gloire à se rendre invisible. Il sort souvent de chez lui à cheval, sans aucune escorte. Sa petite cour se compose de quelques vieux conseillers, de ses compagnons d’armes, de ses musiciens ou griots, et une vingtaine de jeunes gens suffisent à le garder. Sa famille est nombreuse; après chaque expédition, il enrichit son harem de nouvelles femmes choisies parmi les favorites ou les filles du chef vaincu. Pendant les cinq mois qu’a duré le siège de Kinian, vingt et un enfants lui sont nés.

Tiéba semble être fort supérieur à la moyenne des souverains noirs. Il n’est pas l’héritier de la fortune de ses pères; fils de ses œuvres, il a conquis lui-même son royaume et il commande à des frères plus âgés que lui. A la mort de son père Daoula, toutes les provinces se révoltèrent; il les remit l’une après l’autre sous le joug, et il a consacré son droit de conquête en prenant, le premier de sa famille, le titre de roi ou de fama. Il n’en témoigne pas moins à ses aînés une grande déférence. Dans les partages de butin, il les autorise à se faire leur part; il les appelle souvent dans ses conseils, leur prodigue les