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ne dirai pas qu’il s’en réjouit, mais pourquoi ne l’y signalerait-il pas ? C’est ce que M. Biré n’a pas cru qu’il lui fût interdit de faire.

Encore, si Hugo se fût contenté, comme Vigny, comme Musset, d’être poète et romancier! Nous ne trouverions pas mauvais, en ce cas même, ou plutôt nous trouverions bon, utile et nécessaire que l’on cherchât dans l’histoire de sa vie le commentaire ou l’explication de son œuvre. Mais nous savons assez qu’il a voulu jouer son rôle dans l’histoire politique de son siècle; — et il l’a joué. Refusera-t-on à M. Biré le droit d’apprécier ce rôle? de juger l’acteur et la pièce? d’avoir au besoin, sur la question romaine ou sur la liberté d’enseignement, une opinion qui diffère de celle de l’auteur du Pape; — et de l’exprimer? Mettons d’ailleurs, si l’on le veut, qu’au lieu de se tenir dédaigneusement enfermé dans sa « tour d’ivoire, » ce soit l’honneur d’Hugo que de s’être mêlé de sa personne aux luttes de son temps.


Honte à qui peut chanter, tandis que Rome brûle!


Mais aussi, cet honneur se paie. Le poète rentre alors sous la loi commune. Il redevient l’un de nous. Et nous, si nous estimons qu’il a mal servi nos intérêts, la Prière pour tous ou la Tristesse d’Olympio, Booz endormi ni la Rose de l’infante ne sauraient nous empêcher de lui en demander compte. De beaux vers sont de beaux vers, mais ils ne font pas que de mauvais votes ne soient de mauvais votes.

Et des injures sont aussi des injures, en vers comme en prose; et si personne, dans ce siècle, à l’exception de Louis Veuillot peut-être, n’en a vomi de plus grossières que Victor Hugo, disputera-t-on à ceux qu’il a si copieusement insultés le droit de s’en plaindre, ou de s’en venger? Il n’y a pas de représailles que l’auteur des Châtimens n’ait autorisées par l’outrageuse violence de ses invectives ; et puisqu’il n’y a pas un de ses adversaires politiques, ou seulement de ses ennemis littéraires, qu’il n’ait traité « d’âne » et de « cuistre, » de « coquin » et de flibustier, » de « voleur » et « d’assassin, » il n’y en a pas un qu’il n’ait libéré vis-à-vis de lui de toute obligation, — je ne dis pas de courtoisie, — mais de politesse même ou d’indulgence. Patere legem quam ipse fecisti. Au mépris de sa propre dignité, s’il a fait parler à sa muse le langage du cabaret et du bouge, il ne pourrait pas s’étonner, et bien moins s’indigner qu’on lui répondît du même style.

Ai-je besoin de dire ici que M. Biré s’en est bien gardé? Tout le monde n’a pas la fécondité du maître dans l’insulte, ni surtout n’en voudrait user, quand il l’aurait, s’il essayait. Mais, aussi souvent que l’occasion s’en présentait, si M. Biré a cherché la première origine des haines du poète, et s’il l’a généralement trouvée dans les griefs les plus mesquins, pourquoi ne l’aurait-il pas dit? « Tout ce qui lui est