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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/710

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tout cela ne serait pas moins intéressant que de rechercher ce que Victor Hugo n’a pas répondu, le 21 mai 1850, à une voix de droite qui l’interrompait. Il apprenait ses discours par cœur.

Que si maintenant quelqu’un nous reprochait qu’au lieu de prendre le livre de M. Biré tel qu’il est et pour ce qu’il est, nous lui offrons, en en rendant compte, un moyen de le refaire, la réponse est facile. Il y a, comme on disait jadis, une « constitution » des sujets, et par suite, il y a une manière de les traiter qui est telle, que toute autre est moins bonne, comme étant moins conforme à cette « constitution. » En fait, si quelques-uns de nous s’intéressent encore au personnage politique de Victor Hugo, nous sommes les derniers, il faut bien le savoir; et déjà les jeunes gens ne voient plus en lui que le poète. Ils ont raison; car ni l’histoire ne serait possible, ni la vie même ne serait tenable, si les générations nouvelles héritaient fidèlement des moindres rancunes de celles qui les ont précédées. Mais, au contraire, puisque aussi longtemps que durera la langue française, on continuera de lire et d’étudier l’œuvre de Victor Hugo, il ne nous faut dès à présent retenir de sa vie que ce qui importe à l’intelligence de son œuvre, et n’y rien chercher de plus que les raisons de ce qui nous choque ou de ce que nous admirons dans son œuvre. Pour justifier un jour l’un des hommes qui sans doute ont le plus insolemment foulé aux pieds tous les droits de l’humanité, mais dont les intérêts anglais ne perdront pas de sitôt la mémoire. Clive ou Warren Hastings peut-être, Macaulay a quelque part écrit que les « hommes extraordinaires, qui ont accompli des choses extraordinaires, ont droit à une mesure d’indulgence extraordinaire. » Je ne voudrais pas aller jusque-là. Quelques devoirs sont les mêmes pour tous les hommes ; et surtout si l’on considère combien la différence est petite, souvent, d’un homme « extraordinaire » à celui qui l’est moins. Pouvons-nous cependant parler d’Hugo ou de Lamartine comme on ferait d’un membre quelconque de nos assemblées délibérantes, de ceux qui n’ont vécu que par et pour la politique, et ne devons-nous pas, en dépit de nous-mêmes, essayer de prévenir et de préparer sur eux le jugement de la postérité? C’est le scrupule qu’en terminant je soumets à M. Biré; et j’espère qu’il ne le trouvera pas contradictoire au souci que j’ai eu, en commençant, de revendiquer pour lui le droit d’être un peu partial?


F. BRUNETIERE.