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encore moins. On dira que le poète était bien vieux alors ! Prenons-le donc dans sa jeunesse et lisons les Deux îles :


Il est deux iles dont un monde
Sépare les deux océans.


Cela veut-il dire qu’il y aurait quelque part deux îles séparées des deux océans par un monde? On est tenté de le croire d’abord. Mais comme il s’agit de la Corse et de Sainte-Hélène, il faut entendre que les deux îles, avec les deux océans qui les baignent, sont séparées l’une de l’autre par le continent africain. C’est une amphibologie bien caractérisée.


L’air était plein d’encens, et les prés de verdures
Quand il revit ces lieux où, par tant de blessures,
Son cœur s’est répandu :


il faudrait, si je ne me trompe :


Où son cœur s’était répandu;


comme l’on dit : « Il faisait beau quand je revis les lieux où s’était écoulée ma jeunesse. » Hugo lui-même, nous le savons, aimait à « éplucher » ainsi Corneille et surtout Racine; Racine dont il a presque aussi mal parlé que M. Vacquerie ! Mais aimez-vous encore beaucoup ces vers, et pourriez-vous me les expliquer :


Quand notre âme, en rêvant, descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre cœur, qu’enfin la glace atteint,
………………..
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint?


Musset, à qui l’on reproche aigrement l’incohérence de ses métaphores, n’en a pas au moins de plus bizarre que celle de cette âme qui descend dans les entrailles et qui, je ne sais comment, y rencontre le cœur ; et voilà bien des affaires pour dire : « Quand nous repassons en mémoire les jours que nous avons vécus... »

En tout cas, puisque je n’ai pas rougi de proposer la question, je voudrais qu’on prît la peine de l’étudier quelque jour d’un peu prés. Il y a des Lexiques de la langue de Molière : n’en pourrait-on pas dresser un de la langue d’Hugo? On ne négligerait pas aussi, par la même occasion, d’étudier ses rimes, que peut-être on ne trouverait pas aussi riches ni aussi neuves que l’a prétendu Théodore de Banville dans un petit traite de versification, qui est un chef-d’œuvre d’humour en même temps que de flatterie à l’adresse du maître. Et peut-être qu’après