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que la précédente. Si jamais notre résident débrouille cette aventure, il aura une fière chance. Et la lettre chargée arrivera-t-elle jamais, portée par son courrier noir ?

En rentrant, nous apprenons la nouvelle d’un deuil. Je devrais encadrer cette page de noir, Mamadou, — mon ordonnance sénégalais, — m’annonce, très affecté, la mort d’un de nos ânes. Pauvre bête ! c’est le transport en pirogue qui l’a tué ; il est arrivé à San-Pedro, les jarrets à vif, le dos écorché, ne tenant plus debout ; il est tombé,.. il ne s’est jamais relevé.

Quel temps, Seigneur ! Depuis l’aube, il pleut, toute la nuit il a plu. Le ciel est d’un vilain gris sombre, la mer est d’un affreux vert sale, le temps est gris !

Nous avons ce soir mangé un filet d’âne, c’est parfait, et détail singulier, sous aucun prétexte nos Sénégalais ne veulent manger du « bourricot. » Le sergent Galo-Djalo me cite un proverbe que je traduis mot à mot : « Quand noir y a manger bourricot, noir y a crever ! »


Vendredi 8 mai.

A cinq heures et demie départ. Nous laissons à la factorerie nos bagages et nos ânes. La leçon du Cavally nous a profité ; inutile de nous encombrer de mille impedimenta si nous devons rebrousser chemin dans trois jours ; d’ailleurs, il sera toujours temps de revenir les chercher.

Nous emmenons un interprète polyglotte qui m’a l’air d’une perfection ; d’abord, il barre comme un vieux pilote, ce qui est très difficile avec cette longue pirogue et ce terrible courant, il est froid, obéissant, connaît à merveille la rivière… C’est bien ennuyeux que son village natal soit sur notre route, nous avons déjà perdu deux guides comme cela, qui sont restés chez eux, retenus par les charmes du foyer. Nos Sénégalais pagaient mal, ça viendra. Quiquerez leur persuade que c’est un excellent exercice qui fortifie le corps et durcit les mains ! Ils ont l’air peu convaincus. La rivière est large, très profonde, et la saison des pluies aidant, elle a un débit d’eau considérable. En nier on ressent le courant à dix kilomètres.

A dix heures, halte à Bloo pour acheter des pagaies, un schelling la pagaie, c’est cher.

A midi halte, à Dodpor. On nous refuse des poules, on nous-vend seulement du manioc et du poisson fumé à la mode du pays ; nous nous figurons avoir fait un excellent repas. On repart. Pas de villages, des rizières, des marais, des côtes basses, des arbres poussés dans l’eau qui s’élancent tout droits, d’un jet, sans une