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VIII.

Ce fut entre Troyes et Villeneuve-l’Archevêque que les troupes eurent connaissance de la capitulation de Paris ; cette nouvelle jeta la désolation dans tous les cœurs; beaucoup de soldats quittaient les drapeaux et rentraient chez eux ; la garde elle-même n’avait plus confiance. Cependant le bruit courait que l’empereur voulait marcher et reprendre Paris. A la dernière étape avant Fontainebleau, le général Gérard vint à Macdonald ; il lui dit, au nom de ses généraux et de ses troupes, que tout le monde en avait assez, qu’il fallait en finir et que les malheurs de la France étaient assez grands pour ne pas les aggraver en exposant Paris au sort de Moscou. On arriva; c’était le 3 avril. Une lettre adressée de Paris à tous les maréchaux venait d’être envoyée tout ouverte d’Essonne par le maréchal Marmont qui commandait aux avant-postes ; c’était lui qui l’avait décachetée; elle était du général Beurnonville, membre du gouvernement provisoire ; elle annonçait en substance que Paris était tranquille, que les alliés ne voulaient plus traiter avec Napoléon et que la constitution anglaise serait donnée à la France. Macdonald la fit lire à haute voix et se rendit au palais avec le maréchal Oudinot, un grand nombre de généraux et une foule d’officiers qui insistèrent absolument pour les suivre, craignant que l’empereur ne voulût leur faire un mauvais parti.

L’empereur était dans son cabinet, avec le duc de Bassano, Caulaincourt, Berthier, Ney, le vieux maréchal Lefebvre et quelques autres; Macdonald et Oudinot entrèrent. « C’est ici, dit Macdonald, que commença la scène qui changea tant de destinées. L’empereur vint à moi: « Bonjour, duc de Tarente, comment va? — Fort tristement; tant d’événemens malheureux! Succomber sans gloire ! n’avoir pas fait un effort pour sauver Paris ! Nous sommes tous accablés, humiliés. — C’est vrai, c’est un grand malheur. Que disent vos troupes ? — Que vous nous appelez pour marcher sur la capitale ; je viens vous déclarer en leur nom qu’elles ne veulent pas l’exposer au sort de Moscou. Nous croyons avoir assez fait, assez prouvé notre dévoûment, pour ne pas hasarder une tentative plus qu’inégale et achever de tout perdre. Quelque parti que l’on prenne, c’est assez de cette malheureuse guerre, sans allumer la guerre civile ! — Mais non, dit l’empereur, on n’a point l’intention de marcher sur Paris. » J’aurais cru qu’il aurait éclaté; au contraire, sa réponse fut faite avec calme et douceur. Il répéta : « c’est vrai, c’est un grand malheur que la prise de Paris.

— Savez-vous, lui dis-je, ce qui s’y passe? — On dit que les alliés ne veulent plus traiter avec moi. — Est-ce là tout ce que vous