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réponse étrange, qu’on en fût encore aux beaux jours de Wagram? « En ce cas, repartit Macdonald, je n’ai plus d’ordres à vous donner, réclamez-en de l’empereur. »

Celui-ci, abandonnant Blücher, revenait en hâte sur la grande armée alliée; il appela à lui Oudinot et Macdonald, qui le rejoignirent à Arcis-sur-Aube au moment même où il faisait marcher ses troupes dans la direction de Vitry-sur-Marne. Il était sur la place d’Arcis, près d’un feu de bivouac. « Quel motif, demanda Macdonald, vous porte à retirer d’ici vos troupes? — L’ennemi, répondit l’empereur, est en pleine retraite, et je me porte sur ses communications; nous le tenons, il paiera cher son audace. — Comment! L’ennemi s’en va? Mais il est en position de l’autre côté de l’Aube; j’ai vu, en arrivant, des forces considérables. — Il ne songe qu’à repasser le Rhin; et, s’il est encore là, c’est pour laisser filer ses nombreux équipages. » Un quart d’heure après, l’ennemi venait à l’attaque; l’empereur, entêté dans son idée, avait déjà rejoint la colonne en marche sur Vitry, et les deux maréchaux eurent fort à faire pour se maintenir dans Arcis ; mais le lendemain matin il en fallut sortir et se diriger vers la Marne. Ils rejoignirent à Saint-Dizier l’empereur, qui se remit incontinent à la recherche des alliés; on ne les trouva pas. Qu’étaient-ils devenus? Évidemment, après un temps d’arrêt et une certaine hésitation, ils avaient repris la direction de Paris. En se portant sur leurs derrières, l’empereur s’était flatté de leur faire peur et de les contraindre à rétrograder; son espoir était déçu; quelque diligence qu’il put faire, il était impossible de les devancer, et ce n’était pas les faibles corps de Marmont et de Mortier qui seraient capables de défendre victorieusement Paris contre des forces si considérables.

Macdonald était d’avis de jouer le tout pour le tout, et, puisque l’empereur avait voulu manœuvrer vers l’est, de s’y enfoncer jusqu’au fond : « A votre place, disait-il, je me rendrais en Lorraine, en Alsace; j’en réunirais les garnisons, je ferais une guerre à mort sur les derrières de l’ennemi, coupant ses communications, interceptant ses convois, ses renforts. » La présence de l’empereur dans les Vosges en eût fait descendre des milliers de bons tireurs; plus tard le tsar Alexandre avouait, par deux fois, à Macdonald, que, dans cette région, les alliés avaient perdu plus de 3,000 hommes, sans qu’on eût vu un seul soldat français. Le projet d’Alsace n’eut pas de suite, et l’empereur se hâta vers Paris.

« J’arrive enfin, dit Macdonald, au terme de cette lutte désespérée ; notre longue agonie militaire et politique va finir par un coup de tonnerre. »