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grande chaîne. » Toutes ces observations étaient trouvées justes, sensées ; on répondait : c’est vrai, très vrai. Monsieur ajouta : « J’ai bien eu dans la pensée de prendre quelques-uns des officiers-généraux pour aides-de-camp ; quarante ou cinquante m’avaient offert leurs services; mais la crainte de désobliger le plus grand nombre m’a fait ajourner le choix. »

A Paris comme à Lyon, Macdonald eut le commandement supérieur des troupes ; ce ne fut pas avec un meilleur succès. « Où Votre Majesté compte-t-elle se retirer, dans le cas où elle serait forcée d’abandonner momentanément sa capitale? » avait-il demandé la première fois qu’il était venu aux Tuileries ; cette idée ne s’était pas encore présentée à l’esprit de Louis XVIII ; il en tressaillit de surprise: « Mais nous n’en sommes pas encore là? — Non, mais dans cinq ou six jours. Votre Majesté devrait connaître l’activité de Napoléon. — Je compte beaucoup sur le maréchal Ney ; il m’a promis de se saisir de lui et de l’amener dans une cage de fer. Je réfléchirai. » Le lendemain, Macdonald renouvela la question ; le roi répondit sans hésitation : « Dans la Vendée. — Si Votre Majesté prend cette direction, tout sera perdu. Vous y serez poursuivi ; on bloquera les côtes ; toute retraite deviendra impossible. Rendez-vous plutôt en Flandre; Lille ou Dunkerque vous offrent toute sûreté ; vous y établirez votre gouvernement. — Je goûte assez vos observations ; attendons les nouvelles ultérieures. » Les nouvelles arrivèrent de plus en plus menaçantes; Napoléon était à Fontainebleau.

Dans la nuit du 19 au 20 mars, Louis XVIII sortit clandestinement des Tuileries et prit la direction du nord. Le lendemain Macdonald attendit vainement à Saint-Denis les troupes qui avaient ordre de s’y rassembler; elles ne vinrent pas. Il se mit alors en chemin pour rejoindre Louis XVIII ; la maison du roi cheminait péniblement; la queue de la colonne s’allongeait; cette marche décousue avait un air de déroute. Le roi, qui avait pris les devans, s’était arrêté dans Abbeville ; le maréchal le pressa d’en partir ; il était urgent de gagner Lille au plus vite. On arrive à Béthune à cinq heures du matin ; la population curieuse, mais bienveillante, accourt en déshabillé ; le sous-préfet lui donne l’exemple, à la portière de la voiture royale, une jambe à moitié nue, souliers en pantoufle, son habit sous le bras, gilet déboutonné, et chapeau sur la tête ! Le malheureux, les mains embarrassées de son épée et de sa cravate qu’il tâchait d’ajuster, n’avait pas pu se découvrir.

Enfin on arrive à Lille ; l’esprit de la ville est bon, mais celui de la garnison est inquiétant ; le duc d’Orléans et le maréchal Mortier n’ont plus sur elle d’influence; Louis XVIII veut s’en aller de nuit à Dunkerque ;