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pendant cette période, avait si largement participé à tous les événemens intérieurs dont elle avait été remplie ! »

Dès le lendemain de son arrivée à Bourges, Macdonald profita de la visite de corps qui lui fut faite pour prendre une position nette, franche et, vis-à-vis du gouvernement, hautement courageuse. L’assistance était nombreuse ; tous les généraux, tous les officiers étaient présens. « Que ceux, dit-il en élevant la voix, qui ont le malheur d’être portés sur les fatales ordonnances songent à leur sûreté ; ils n’ont pas un moment à perdre ; d’un instant à l’autre il peut arriver des porteurs de mandats dont je ne serai pas maître d’empêcher l’exécution ; tout ce que je peux faire est de les prévenir par cet avertissement, en leur facilitant les moyens d’y échapper. » Dans le nombre était le général Braver, qui, à Lyon, avait voulu, même par la force, empêcher son départ ; il se confondait en excuses : Fuyez, fut la seule réponse de Macdonald.

Il fit mieux. Le soir même, arrivèrent, mais sans leur uniforme, en habit civil, des gardes du corps, des exempts, comme on disait sous l’ancien régime ; ils étaient porteurs de mandats d’arrestation et d’ordres pour les commandans de gendarmerie d’obtempérer à leurs réquisitions. Quand ils se présentèrent au maréchal, celui-ci leur dit que, vu l’état exaspéré des esprits, il les engageait à ne pas se faire voir, qu’on allait leur donner à souper, des matelas pour la nuit, et que le lendemain on aviserait. On les mit sous clé ; des estafettes coururent dans tous les cantonnemens sonner l’alarme, et le matin venu, quand les chasseurs se mirent en campagne, le gibier avait disparu. MM. les exempts se plaignirent : « Vous avez tort, leur dit le maréchal, vous me devez plutôt des remercîmens, car, si l’on eut soupçonné votre déguisement, vous auriez couru un péril certain. — Nous l’eussions bravé. — Alors pourquoi vous déguiser ? Puisque votre mission est maintenant sans objet, dans votre intérêt partez, quittez sur-le-champ l’arrondissement de l’armée ; allez faire votre rapport. » Il n’en résulta pour Macdonald qu’une lettre assez aigre du duc de Berry où il était dit que, s’il commandait à sa place, il ferait jeter les récalcitrans par les fenêtres : à quoi le maréchal répondit que ce serait fort bien fait, si on ne courait pas le risque d’y passer d’abord soi-même.

Enfin il fallut faire cet odieux licenciement ; Macdonald y apporta tous les ménagemens possibles ; mais il lui était douloureux de concourir au malheur de tant de braves qui perdaient le traitement d’activité, c’est-à-dire la moitié de leurs moyens d’existence. Il n’y eut que peu de mutinerie ; le licenciement s’acheva dans le calme. « Ce ne fut point sans un cruel serrement de cœur, a dit éloquemment le maréchal, que je vis disparaître cette vaillante et si malheureuse armée, si longtemps triomphante ; aucune trace n’en