Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou l’annihilation du mouvement. On posera donc bientôt en principe la continuité, la permanence, et la transformation des modes de l’énergie psychique, comme de l’énergie physique; on reconnaîtra, en outre, que celle-ci est la manifestation de celle-là. Une science plus avancée que la nôtre découvrira la vie partout, et, avec la vie, du mental à un degré quelconque, de la sensation et de l’appétit ; si bien qu’on aura fini par exorciser le fantôme de l’inconscient.

Ce grand principe, qu’on pourrait appeler l’ubiquité de la conscience, nous nous bornerons à en montrer ici l’application au corps vivant. Pour cela, nous étudierons successivement les diminutions, les déplacemens, enfin les dédoublemens de la conscience, soit sous l’action de la maladie, soit sous celle de l’hypnotisme et de la suggestion. Nous en tirerons ensuite des conclusions générales sur la valeur et le rôle de l’idée du moi d’après la psychologie contemporaine.


I.

Un des points aujourd’hui établis, c’est qu’un être vivant est, en réalité, une société d’êtres vivans serrés les uns contre les autres et en communication immédiate. Chaque cellule est déjà un petit animal ; les grands organes, comme le cœur, l’estomac, le cerveau, sont des associations particulières en vue de besoins particuliers au sein de l’association générale. Dans les animaux très inférieurs, comme les polypes, la méduse, l’étoile de mer, cette individualité des diverses parties est manifeste, puisque la partie séparée du tout peut encore vivre, parfois reformer un animal entier. Chez les animaux supérieurs, les spermatozoaires peuvent et doivent se séparer du tout pour reconstituer un individu de la même espèce.

A mesure que, dans l’échelle des êtres, la centralisation vitale va croissant, le cerveau devient de plus en plus dominateur. Il prend pour lui les fonctions de prévoyance et de mémoire, les idées et les réactions à l’égard d’objets absens; il ne laisse aux ganglions inférieurs que le soin de réagir à l’égard d’objets présens, sous l’aiguillon immédiat de la sensation actuelle. Par l’énergie même du travail dont il se trouve ainsi chargé, le cerveau produit un effet « d’arrêt » sur les autres centres nerveux, c’est-à-dire qu’il les empêche de manifester directement tout ce dont ils seraient capables. Grâce à ce despotisme cérébral qui s’est développé chez les animaux supérieurs, les centres de la moelle, de